Cover On the row (2018)

On the row (2018)

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150 livres

créee il y a plus de 6 ans · modifiée il y a 4 mois

À nos amis
7.5
1.

À nos amis

Sortie : 22 octobre 2014 (France). Essai

livre de Comité Invisible

Chaiev a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Malgré le flou volontairement maintenu, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner les liens qui unissent feue la revue Tiqqun et les membres du Comité Invisible, bien plus profonds évidemment qu’une simple communauté de pensée. Mais force est également de constater que les stratégies communicationnelles des deux entités sont à l’opposée, et que la première est aussi lyrique et romantique - à sa façon - que le second est déterminé à asseoir ses vues sur un discours incroyablement cadré, sérieux ne craignant jamais l’autocritique. Fougue de la jeunesse d’un côté, contre raisonnement argumenté de l’autre pour faire vite. Aux mots d’ordre et aux visions d’un monde en flamme succède ici une analysé serrée - et à mes yeux assez imparable - d’un double problème qui n’en fait qu’un : l’inanité du capitalisme étatique face à la complexe émergence d’un renouveau révolutionnaire ayant tout à reprendre à zéro en ce qui concerne sa pratique aussi bien que sa logique. Les deux points sont menés de front tout au long de l’ouvrage, sans passion mal placée donc, sans manichéisme non plus : il n’est pas question de distribuer les bons et les mauvais points entre deux camps opposés, mais de regarder le plus froidement possible les crimes de l’un et les erreurs de l’autre, les impasses et les points de fuite possibles, les raisons de tout mettre à bas et les raisons, malgré tout, d’espérer. Avec en point d’appui quelques thèmes récurrents, traités ici avec une rare lucidité, et une impressionnante intelligence, celle qui sait articuler, dans le bon sens, pratique et théorie : les faux semblants qui se cachent derrière l’idée de Société, les possibilités offertes par un « communalisme » bien compris, le jeu trouble et opaque entre démocratie et gouvernement, et l’idée primordiale que c’est la forme même de la lutte qu’il faut parvenir à transformer, puisque l’ennemi lui-même n’a pas hésité à changer de forme, devenant tous les jours plus ductile et insaisissable en passant de l’institution à la logistique.

Un petit roman lumpen
7
2.

Un petit roman lumpen (2002)

Una novelita lumpen

Sortie : 2002. Roman

livre de Roberto Bolaño

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Bolaño est un écrivain voyageur par excellence, éternel exilé dont les personnages souffrent toujours du même sentiment de déracinement qui les tient comme à côté du monde qu’ils traversent sans savoir bien comment l’habiter. Dans cet ultime opus, le romancier se transporte à Rome, et prête sa plume à une narratrice elle aussi en rupture de ban, après la mort accidentelle de ses parents sur une petite route du sud de l’Italie, qui la laisse seule avec son frère alors qu’ils sont tous deux encore lycéens. Le texte, qui fait moins de 100 pages, ne s’attache qu’à quelques semaines en apesanteur, alors que l’héroïne se sent happée par un mal de vivre grandissant et mal défini. Embarquée dans une arnaque à la petite semaine par deux étranges camarades de son frère, elle semble vivre un long rêve éveillé : ambiances troubles et oniriques que Bolaño adore traquer et sculpter à l’aide de phrases aussi simples que vénéneuses.

Un diable au paradis
7.3
3.

Un diable au paradis (1956)

A Devil in Paradise

Sortie : 1956 (France). Récit

livre de Henry Miller

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Miller rencontre Conrad Téricand à Paris dans les années 30, et cet astrologue hors norme le fascine immédiatement, personnage à la Balzac qui vit d’expédient grâce à sa faconde, à la fois insupportable et brillant. Et voilà que dix ans plus tard, alors qu’Henry est retourné aux Etats Unis, il apprend que son ancien ami est dans le dénuement le plus total. Ni une ni deux, il lui propose de venir vivre avec sa femme et sa fille à Big Sur, où il a réussi à se dégotter une petite baraque loin des hommes. Commence alors un cauchemar éveillé, que l’humour désespéré de l’écrivain transforme en une aventure picaresque, ou comment se débarrasser d’un crampon atrabilaire qu’on a soi-même introduit dans la bergerie !

L'Envers de l'histoire contemporaine
7.8
4.

L'Envers de l'histoire contemporaine (1848)

Sortie : 1848 (France). Roman

livre de Honoré de Balzac

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Le titre du dernier roman de Balzac pourrait en réalité servir de sous-titre à toute la Comédie Humaine, tant le romancier a eu à coeur de parcourir sans relâche les coulisses de son siècle, et de traquer les lignes de forces souterraines qui innervaient les différentes couches de la société française. Pouvoir de l’argent, du désir, de l’ambition, de la politique, le but de son immense entreprise était bien de donner à voir tous les arcanes du temps. Alors qu’il avait débuté ses scènes de la vie parisienne par la société secrète des Treize, inquiétante et quelque peu malfaisante, il les clôt par un autre genre de conspiration, tout aussi camouflée mais reposant à l’inverse sur la volonté de faire le Bien, en infusant partout la Charité chrétienne. Bon, à mes yeux, ce ressort-là est nettement moins passionnant que son pendant maléfique, et entraine un prêchi-prêcha un peu lassant de bons sentiments, mais malgré tout, c’est Honoré qui tient la barre et rien ne peut l’empêcher de partir dans des dédales imaginatifs des plus fantaisistes - comme cette dernière partie qui voit le héros un peu falot faire ses classes en bienfaisance auprès d’une mère de famille atteinte de « la plique polonaise » (!) à qui son père et son fils cachent consciencieusement le fait qu’ils sont ruinés, en la logeant dans une chambre richement décorée, au milieu d’un taudis.

Hurlevent des monts
6.4
5.

Hurlevent des monts (1847)

(traduction Pierre Leyris)

Wuthering Heights

Sortie : 1984 (France). Roman

livre de Emily Brontë

Chaiev a mis 4/10.

Annotation :

Un peu ébranlé par les torrents réguliers de compliments dithyrambiques déversés sur l’unique roman de la pauvre Emily B - vu que dans mon souvenir rien ne pouvait réellement justifier un tel enthousiasme - je me suis dit que j’avais du le lire un peu trop jeune et c’est avec un tendre espoir que je me suis lancé dans la traduction de Leyris, réputée être la meilleure des trois. Bon alors autant le dire tout de suite, je ne tenterai pas de tâter de la dernière (Sylvère Monod) pour m’en faire un coeur net : je trouve ce bouquin définitivement sordide, et sordide presque par programme, comme si l’autrice avait décidé de pousser toutes les manettes à fond du côté de la grandiloquence et de l’aigreur, pour voir. On pourrait arguer d’une certaine originalité, certes, tant l’entièreté du roman louche du côté du hors-norme et du mal-aimable, mais c’est fait avec un tel manque de finesse, d’imagination, d’humour (attention gros mot), et avec un tel esprit de systématisme frôlant l’absurde que cette surenchère folle rend impossible toute identification, voire tout empathie pour des personnages taillés à l’emporte-pièce dans un bloc absolument monolithique de haine et de rancœur.

Pourquoi je déteste Noël
6
6.

Pourquoi je déteste Noël

Sortie : 2011 (France). Recueil de nouvelles

livre de Robert Benchley

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

"C’est quand même un sale coup d’être arraché à un travail important et trainé en bas pour se lancer dans une spéculation purement hypothétique sur ce que ce « Papa Noël » pourrait avoir - ou ne pas avoir - apporté. Des conversations préalables sur le sujet, il était clairement ressorti que ce « vieux bonhomme jovial » se réservait une marge d’appréciation considérable pour juger si certains enfants recevraient des cadeaux ou non, cette décision dépendant du fait de savoir s’ils avaient ou non été ce qu’on appelle techniquement de « bons garçons » au cours de deux semaines précédentes. or il suffit à Stephen de se remémorer brièvement sa conduite lors des quinze derniers jours pour se convaincre que ses chances sont trop minces et ne valent pas la peine de sortir du lit pour descendre vérifier."

Un empirisme spéculatif
7.

Un empirisme spéculatif (2006)

Lecture de Procès et réalité de Whitehead

Sortie : novembre 2006. Essai, Philosophie

livre de Didier Debaise

Chaiev a mis 9/10.

Annotation :

Didier Debaise réussit avec cet ouvrage un véritable tour de force : parvenir à détailler avec une limpidité impressionnante sur 200 pages les grandes lignes d’un des livres les plus obscurs de la philosophie moderne sans jamais perdre son lecteur, et sans jamais non plus aplanir le sujet épineux qu’il traite. Toute la complexité de la pensée de Whitehead, volontairement abstraite, est sauvegardée, mais présentée de telle façon qu’on a soudain l’étrange sensation de pouvoir s’y retrouver dans toutes ces concrétions, ces entités actuelles, ces préhensions, ces pluralités disjonctives et autres processus d’individuation. Faisant preuve à la fois de méthode et d’un sens aigu de la pédagogie, l’auteur manie d’une main ferme et patiente la pelote de Procès et Réalité pour la désemmêler sans en rompre aucun fil, montrant pas à pas toute la richesse de la méthode spéculative mis en oeuvre par Whitehead pour parvenir à construire une philosophie-flux de l’évènement, toujours mouvant, dont le but est d’expliquer l’existence dans toute son opacité. Car c’est bien là ce qui fait l’originalité de la démarche empiriste de Whitehead : renverser la flèche traditionnelle des causalités, et parvenir à construire selon des procédés inspirés des mathématiques un schème rationnel cohérent afin de remettre à sa place l’expérience : non pas point de départ de toute explication, mais point d’aboutissement.

Kit-Kat Café
8.

Kit-Kat Café (1983)

Malek al-Hazin

Sortie : 2004 (France). Roman

livre de Ibrahim Aslān

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Aslān s’essaye pour son premier roman à une savante écriture en rhizome, en partant d’un point nodal ô combien primordial en Egypte : le café du coin. La scène est à Imbaba, quartier populaire du Caire, sur la rive gauche du Nil, face au quartier chic de Zamalek. Et le jour n’a pas été choisi au hasard, puisque le café en question vit ses dernières heures, après un rachat quelque peu agressif par un marchand de volailles bien décidé à éradiquer ce dernier témoin du passé. Plus d’une trentaine d’habitués, de tout âges et de toutes conditions, vont et viennent et Aslān s’amuse à les suivre, à rentrer dans leur intimité, à les lâcher, à les reprendre, pendant que dans le reste de la ville, une manifestation gronde, bientôt réprimée par des charges violentes et des bombes lacrymo. Mosaïque de petites histoires sans importance, pour raconter la fin d’un monde, écrasé lentement mais sûrement par la marche de la modernité : autant de petits croquis savamment tournés, mais qui peinent un peu à convaincre quand on les compare aux deux autres récits traduits en français de l’auteur, peut-être plus à l’aise dans l’implicite et le non-dit.

William James : Empirisme et pragmatisme
9.

William James : Empirisme et pragmatisme (1997)

Sortie : 1997. Essai, Philosophie

livre de David Lapoujade

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Dans ce court précis, Lapoujade fait une synthèse très claire de la pensée de James, afin de bien aplanir les malentendus qui règnent toujours concernant à la fois son empirisme radical (remonter à une expérience pure qui doit se détacher des oppositions factices Objet/Sujet, Matière/Esprit, Forme/Substance) et son pragmatisme qui n’est pas une apologie de la réussite mais une méthode pour s’y retrouver dans le monde pluraliste tel qu’il le voit. Car pour James, tout est événement, rien ne peut se dire dans un a priori fixé d’avance : le monde est ce qui se fait, et ce qui est à faire. Et pour ne pas verser dans le relativisme mais bien construire un perspectivisme efficace, il importe, parmi les multiples vérités mises à jour, que chacun puisse, à titre individuel choisir sa voie en accord avec la communauté, d’où l’importance mise en évidence ici d’une notion centrale chez le philosophe étasunien, celle de la confiance.

Des voleurs dans la nuit
7.5
10.

Des voleurs dans la nuit (1946)

Thieves in the Night

Sortie : 1946. Roman

livre de Arthur Koestler

Chaiev a mis 9/10.

Annotation :

Si Koestler n’est pas - littérairement parlant - un romancier hors du commun (il serait par exemple assez cruel de le comparer avec Victor Serge sur ce plan là), il reste un témoin particulièrement précieux de toute l’histoire de l’entre deux guerre, à la fois lucide, intransigeant et intègre. Il a lui-même participé, très jeune, à l’installation d’un kibboutz en Palestine dans les années 20, et c’est cette aventure qui lui servira de matériau de base pour Des voleurs dans la nuit (anciennement intitulé La Tour d’Ezra en français). Mais il ne s’agit pas d’un roman autobiographique, bien plutôt d’une réflexion politique autour d’un problème totalement insoluble, vu ici à travers les yeux de Joseph, un juif anglais qui se lance à corps perdu dans une aventure qui finit très vite par le déborder de toutes parts. Koestler a d’ailleurs décalé dans le temps sa propre expérience, puisque le récit se situe en 1937-1939, alors que la persécution des juifs par l’Allemagne nazie a pris l’ampleur d’une catastrophe, et que l’Angleterre tente de se désengager du bourbier palestinien en limitant aux colons juifs l’accès à la terre qu’elle leur avait accordé trente ans auparavant. Dès lors, le roman de Koestler se lit comme un reportage effrayant, passionnant, raconté depuis le coeur de l’action, épousant avec une souplesse impressionnante tous les angles d’une situation inextricable. A la fois portrait sans fard des complexités posées par la constitution d’une communauté communiste (au sens non marxiste du terme) et tableau d’une tragédie historique dont personne ne pourra sortir vainqueur, biaisée dès le départ, et construite sur des mensonges, des rancoeurs et des hypocrisies qui ne pourront que la rendre de plus en plus explosive, et insoluble, à mesure que le temps aggravera l’opposition et la contradiction des points de vue.

La Terreur
6.9
11.

La Terreur (2017)

Vérités et légendes

Sortie : 14 septembre 2017. Histoire

livre de Jean-Clément Martin

Chaiev a mis 6/10.

Annotation :

Disons le d’emblée, et par un euphémisme, pour éviter tout malentendu : je n’ai rien contre Robespierre, tout au contraire. Ainsi, j’étais curieux de voir comment Martin allait se débrouiller pour traiter la thèse qu’il va répétant à l’envie : la Terreur de 94 n’a jamais existé. Comment ? Eh bien très simplement en fait : en n’en parlant jamais. Tous son livre, parfois étayé, parfois plus léger, ne tourne qu’autour d’une simple idée : il y avait terreur avant, il y a eu terreur après, et si aujourd’hui on accole automatiquement Terreur et Robespierre, ce n’est que pure propagande mise en place par les Thermidoriens, Tallien en tête. Quant à l’emballement du printemps de l’an II, aux rouages d’une machine infernale qui se met en place presque malgré ceux qui la lancèrent, le gars ça ne l’intéresse pas trop. Dommage de traiter avec tant de distance un sujet aussi casse-gueule que passionnant.

Enquête sur les modes d’existence
7.3
12.

Enquête sur les modes d’existence (2012)

Une anthropologie des Modernes

Sortie : 20 septembre 2012. Essai, Culture & société

livre de Bruno Latour

Chaiev a mis 10/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

CRITIQUE INSIDE ↓

Les Travaux et les Jours de Svistonov
13.

Les Travaux et les Jours de Svistonov (1929)

Trudy i dni Svistonova

Sortie : 19 mai 1998 (France). Roman

livre de Konstantin Vaguinov

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Le Svistonov du titre est romancier de son état, et à travers son quotidien fait de rencontre et de transposition littéraire, Vaguinov s’amuse à une joyeuse mise en abyme de sa pratique et de sa propre propension d’écrivain : se nourrir comme d’un vampire de tout ceux qu’il croise pour donner vie à sa prose. Joyeuse mais tragique en même temps car s’il y a une évidente envie chez tous ceux qui apprennent que leur interlocuteur est un créateur - en victimes consentantes c’est eux qui lui demandent de les glisser entre ses pages - le résultat est immanquablement à leurs yeux une trahison. Et de ce qui devrait provoquer une épiphanie, il ne résulte finalement qu’un appauvrissement, voire une humiliation, aux yeux des intéressés. La faute à la littérature ? Pas sûr. Vaguinov semble plutôt décaler les données du problème : n’est-ce pas plutôt le lecteur le grand coupable dans l’affaire, qui voudrait croire que la réalité a plus de valeur dans la fiction que dans le monde qui l’entoure ? Terrible constat qui lui vaudra les foudres de la censure stalinienne.

Le Renard
6.8
14.

Le Renard (1923)

The Fox

Nouvelle

livre de D. H. Lawrence

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Le Renard fait partie de ces novellas que Lawrence construit autour d’une situation mystérieuse, faites d’ombres et de sentiments aussi forts qu’inexplicables. Autant il n’hésite pas à développer ses idées socio-philosophiques dans ses gros romans, autant les formes courtes sont pour lui l’occasion de se montrer plus implicite, de se poster devant des comportements brutaux ou paradoxaux non pour les expliquer mais pour simplement les observer, à distance mais obstinément, jusqu’à leur faire rendre gorge. Ici tout tourne autour d’un personnage féminin - encore ! - fascinée, obnubilée par un renard dont elle retrouve la sauvagerie et le charme au fond des yeux d’un soldat qui s’installe dans sa ferme à la fin de la guerre. La prose si particulière de Lawrence n’est jamais aussi fascinante que quand elle s’attache à mêler si finement le symbolique et le naturalisme, dans une danse tragique où le psychologisme devient un étonnant sensualisme.

L'Amour fraternel
15.

L'Amour fraternel (1936)

Sortie : 1936 (France). Roman

livre de André de Richaud

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

En mettant au centre de son roman le paradoxal amour qui relie deux frères qui ne se connaissent pas et qui se retrouvent après quinze ans de séparation forcée dans la maison familiale où le plus jeune des deux a vécu orphelin et relégué, Richaud fait le choix d’un récit âpre, sans concession, si ce n’est celle d’un romantisme assumé et échevelé. Mais sa prose précise, attentive, brûlante, est merveilleusement taillée pour une telle gageure : plonger sans retenue dans la marmite bouillonnante des passions les plus inexprimables, les plus dangereuses aussi. A travers ce récit d’une lente descente aux enfers se dessine comme toujours chez lui une vision implacablement pessimiste des êtres humains, enfermés en eux même et qui ne peuvent trouver d’échappatoire ni dans la ville dangereuse et superficielle, ni dans la nature indifférente et sauvage.

« Comme il avait la sensation de renaître, lui, chaque matin, toujours identique à lui-même, une nuit effaçant un jour, un jour promettant une nuit, il admettait sans peine que l’horloge ne soit jamais remontée et que les meubles s’effacent l’été, dans la vie des paysans pour faire place aux arbres et aux animaux. L’alternance des saisons l’inquiétait peu. Le temps lui paraissait une construction très arbitraire de ceux qui font semblant de vivre et il n’avait jamais rencontré dans sa vie un de ces événements extraordinaires pendant lesquels la joie ou la douleur s’abattent sur un homme et lui donne le sens de la durée. Il vivait comme un animal, libre et sans désir. »

L'Invention de la politique
8.1
16.

L'Invention de la politique (1983)

Démocratie et politique en Grèce et dans la Rome républicaine

Politics in the Ancient World

Sortie : 15 mai 2011 (France). Histoire, Essai

livre de Moses I. Finley

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Il y a un peu le même problème ici que dans l’ouvrage de Dodds sur les Grecs et l’irrationnel : même réécrites et étoffées, on sent fortement le collage de conférences, sans percevoir une véritable structure qui porterait le discours selon une problématique progressive et bien organisée. Petit désagrément redoublé par l’étrange titre français (repris du texte et explicitement accepté par l’auteur) qui est on ne peut plus loin du contenu tangible du livre : Finley est beaucoup plus intéressé par la mise en oeuvre de l’organisation politique telle qu’imaginée par Athènes d’abord, et Rome ensuite, autour d’un modèle qui se proclame « démocratique », que par un quelconque tableau de la Politique - comme théorie - en Grèce ou dans l’empire romain. Et d’invention stricto sensu il n’en sera d’ailleurs pas plus question, puisque l’auteur, là aussi très explicitement, se refuse à interroger les rares textes constitutionnels qui subsistent. Sa démarche est beaucoup plus sociologique qu’essentialiste : tenter de recomposer, comme un temple à partir de trois cailloux et six colonnes, ce que pouvait bien représenter pour les citoyens lambda d’Athènes le fait d’intervenir dans les affaires de la cité, et déterminer autant que faire se peut la valeur exacte de cette participation. Et c’est là qu’intervient toute la verve de polémiste de Finley - car sur beaucoup de points il est en désaccord avec grand nombre ses collègues, et il le fait savoir avec pugnacité : pour lui (fidèle ici à Aristote), le seul principe de base qui assoit la pratique démocratique à Athènes comme à Rome est un combat/contrat entre riches et pauvres. Il n’est pas tant question d’arracher l’hégémonie à l’autre camp, que d'aménager une sorte de servitude volontaire en gardant, pour les plus faibles, certains leviers en main afin de s’assurer un minimum de contrôle sur les agissements des plus puissants. C’est dans le démontage de cette fine mécanique que l’auteur reste le plus passionnant.

Le Démon de l'île solitaire
7.2
17.

Le Démon de l'île solitaire (1930)

Kotô no Oni

Sortie : 5 mai 2015 (France). Roman

livre de Edogawa Ranpo

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Ce texte de 1929, enfin traduit en français après 85 ans de patience, a été publié par épisodes sur plus d’un an dans la revue Asahi, et Rampo y joue à fond la carte du feuilleton, avec clifhangers, énigmes multiples et richesse de l’imagination. Censément écrit par un narrateur débutant, qui peine un peu, tant les événements traversés sont confus, à mettre en ordre ses idées (les notations allant dans ce sens donne au texte une délicieuse saveur d’a peu près) le récit se déploie de Tokyo à une petite ile méridionale et entremêle avec plaisir l’innocence la plus virginale et la perversité la plus noire. Poe, Jules Verne, Conan Doyle y jouxtent les démons et les monstres japonais, dans un labyrinthe à cheval entre le rêve et la réalité, plongeant avec bonheur dans les recoins sombre de l’inconscient

Son fils unique
18.

Son fils unique (1891)

Su único hijo

Sortie : 1990 (France). Roman

livre de Leopoldo Alas (Clarín)

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Dernier roman de Clarín (sur un total de… deux !) « Son fils unique » est mené à un rythme d’enfer par un auteur au sommet de son art. Portrait au vitriol de la bourgeoisie d’une ville de province, on y suit les mésaventures du malheureux Bonifacio - poète raté qui vit sous la coupe de sa mégère de femme, tyran domestique et hypocondriaque patentée - soudain sorti de sa routine par l’arrivée d’une troupe de chanteurs d’opéra. Sans avoir l’air d’y toucher, derrière la satire qui tire à boulet rouges sur tous les conformismes larvés, le romancier réussit à faire naître un personnage particulièrement émouvant, perdu dans ses rêves de grandeur, déchiré entre sensualité et spiritualité, veule et pourtant combatif, dupé mais sachant malgré tout garder le cap, une sorte de Don Quichotte de la vie moderne, mal taillé pour affronter les vilénies d’un XIXe siècle tout aussi pourrissant outre Pyrénées qu’il le fut dans la patrie de Balzac et de Zola.

Les Grecs et l'irrationnel
7.4
19.

Les Grecs et l'irrationnel (1951)

The Greeks and the Irrational

Sortie : 1965 (France). Culture & société, Essai

livre de E.R. Dodds

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Suite à une tournée de conférences à la fin des années 40, Dodds réunit dans ce volume une série d’analyses qu’il destine à un public non spécialiste, pour retracer les relations conflictuelles entre rationalité et esprit religieux dans la Grèce antique. L’aspect volontairement un peu fragmenté de l’oeuvre nuit à une vision d’ensemble, mais reste que les faits exposés sont fouillés et intéressants en eux-même, dans une démarche qui se veut tour à tour philosophique, historique, ethnographique, psychologique et sociologique. Il en ressort une vision nuancée du monde grec (surtout entre Homère et Alexandre le Grand) où cohabitent de façon étrangement mêlée des visions du monde pourtant antithétiques : puissance de la raison et de l’esprit d’un côté, force de l’inexplicable et du merveilleux de l’autre.

Madame de Mauves
8.4
20.

Madame de Mauves

suivi de : Gabrielle de Bergerac

Sortie : 1874 (France). Recueil de nouvelles

livre de Henry James

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Les deux nouvelles réunies ici ont pour point commun de se passer en France, mais la ressemblance s’arrête là. Car en moins de six ans, le jeune Henry James qui s’essaye au pastiche balzacien, est devenu un auteur conscient de son originalité, et là où Gabrielle de Bergerac se plait encore à multiplier les péripéties et les coups d’éclats, Madame de Mauves se réduit à un fil narratif des plus simples, autour duquel pourtant le romancier parvient à développer des trésors d’observations psychologiques coulées dans des phrases qui donnent toute sa place à l'ambiguité, laissant déjà deviner ce que seront les premiers romans à venir. Lire les deux nouvelles dans l’ordre (et non comme présentées dans le recueil), c’est un peu assister à la transformation d’une chrysalide en papillon, et saisir comment James aura su garder une tension dramatique évidente, mais en la transposant de l’ordre des faits à l’ordre des sentiments.

« Si vous désirez vivre en France et voulez être heureuse, n’écoutez pas trop cette petite voix dont je viens de vous parler - la voix qui n’est ni celle du curé ni celle du monde. Vous croirez l’entendre dire des choses qu’il ne vous sera d’aucun secours d’entendre. Celles-ci vous rendront triste et lorsque l’on est triste, on est terne, et lorsque l’on est terne on devient amer, et lorsqu’on est amer on est très désagréable. J’ai été élevée dans l’idée que le premier devoir d’une femme était de plaire, et les femmes les plus heureuses que j’ai connues ont été celles qui ont fidèlement accompli ce devoir. Comme vous n’êtes pas catholique, je suppose que vous ne pouvez pas être une dévote ; et si vous ne prenez pas la vie pour une messe qui dure cinquante ans, la seule façon de la prendre c’est comme un jeu d’adresse. Ecoutez : pour ne pas perdre, vous devez - je ne dis pas tricher ; mais ne soyez pas trop sure que votre voisine ne le fera pas, et n’allez pas vous laisser ébranler dans votre aplomb s’il le fait. Ne perdez pas, mas chère ; je vous en conjure ne perdez pas. Ne soyez ni soupçonneuse ni crédule ; mais si vous découvrez votre voisin en train de lorgner, ne vous récriez pas, mais attendez très poliment votre tour. J’ai eu plus d’une fois ma revanche en mon temps, mais je ne sais pas si la plus douce que je pourrais prendre contre la vie en général ne serait pas de faire profiter votre innocence bénie de mon expérience. »

L'Objet singulier
7.7
21.

L'Objet singulier (1979)

Sortie : 1979 (France). Essai, Philosophie

livre de Clément Rosset

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Dernière étape de la trilogie de Rosset autour de l’ontologie du réel qu’il entreprend dans les années 70, l’ouvrage repart du principe de base de toute la philosophie de l’auteur - le Réel est ce qui n’a pas de double et ne peut donc être pensé d’un « ailleurs » qui serait illusoire et trompeur - pour se pencher plus précisément sur les objets singuliers qui le composent et représentent pour les hommes à la fois un obstacle et un mystère. Le comique, la peur, le désir, le cinéma et surtout ici la musique sont donc convoqués pour offrir autant de points de réflexion autour de la notion du non-identique et du non-identifiable. Traqueur patient et amusé, Rosset se délecte à exposer les contradictions et les apories qui font toute la tragédie de l’espèce humaine engluée dans un filet de représentations dont elle ne parvient pas à se sortir. Dès lors une solution se fait jour, déjà avancée par Spinoza et par Nietzsche, et que le philosophe réinvestit avec force : faire le pari de l’allégresse, malgré tout, et admettre le réel tel qu’il est, le considérer comme suffisant sans un regard pour toute l’immensité qui semble nous échapper mais n’existe pas : « Car le secret du monde, c’est justement le monde : la somme de toutes les explications désirées ne sauraient mieux faire que, dans l’hypothèse optimale, coïncider avec le réel qu’elles prétendent expliquer »

Le Serpent d'étoiles
7.1
22.

Le Serpent d'étoiles (1933)

Sortie : 1933 (France). Récit

livre de Jean Giono

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

A chaque fois que j’ouvre un nouveau texte de Giono sur la Provence, une légère inquiétude sourd : franchement, encore ? Qu’a-t-il de plus à en dire, comment pense-t-il pouvoir se renouveler ? Et à chaque fois le bonhomme me cueille : pas de doute, il sait ce qu’il fait, et en réalité malgré la similitude, il ne se répète jamais. Ici, c’est à une incroyable cérémonie, mêlant les deux passions de l’auteur (l’épopée homérique et le monde sauvage des éleveurs de moutons) qu’il nous fait assister. Commençant par une très longue introduction, au caractère foncièrement poétique, on le suit, narrateur à la première personne, découvrant peu à peu tout un monde étrange et puissant, celui des bergers qui vivent en marge du monde moderne. Et puis c’est l’explosion, le spectacle succédant à la quête, qui voit des hommes rejouer sous les étoiles le grand mystère de la nature, comme si soudain on se retrouvait, en plein vingtième siècle, au temps des aèdes grecs.

« La nuit, on la mâchait avec la salade ; la nuit, elle déborda du cratère en lents bouillons, et c’était plein de nuit dans les bouches quand on entama les quignons frottés d’ail. On avait donc ces herbes à manger, puis la nuit – et c’était une nuit du maquis, puis, les étranges regards jaunes de la sorcière de quatorze ans. Tout cela donnait la pâture au ventre et à la cervelle ; je ne sais pas si la cervelle avait bien son compte séparé ; je crois plutôt que tout : salade, huile, pain noir, nuit et regards de gentiane, tout y faisait de la chaleur et du poids, tout s’y changeait en sucs et en effluves, si bien qu’on était, à la fin, ivre de la triple force du ciel, de la terre et de la vérité. »

Le Mythe de l'islamisation
7.7
23.

Le Mythe de l'islamisation (2012)

essai sur une obsession collective

Sortie : 11 octobre 2012. Essai, Culture & société

livre de Raphaël Liogier

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Liogier ne manque pas de courage, de tenter d’apporter son éclairage sur un sujet aussi miné, face à des adversaires qui ne désarmeront malheureusement jamais. Il le fait avec rigueur et détermination, mais peut-on franchement croire que cela convaincra jamais l’armée des contempteurs fanatiques de l’Islam ? Les chiffres, les arguments rationnels, les preuves faisant appel à la raison et au bon sens sont de piètres arguments face à la paranoïa et au manichéisme. C’est évident que toutes les vérités rappelées ici sont primordiales, mais le mal est désormais tellement enraciné dans la société européenne, à un niveau pratiquement inconscient désormais, qu’on referme le livre presque plus désespéré qu’en l’ouvrant. En réalité, la partie peut-être la plus importante, même si elle n’a pas forcément plus de poids pratique que le reste, est la conclusion, dans laquelle Liogier développe rapidement, mais à point nommé, une analyse de fond du problème qui premièrement rappelle que le fait d’haïr avec tant de résolution des ennemis imaginaires ne font qu’exacerber les tensions et se radicaliser la frange pourtant minime des radicaux (un argument que les faits advenus depuis l’écriture du livre - 2012 - ont cruellement confirmé), et souligne deuxièmement à quel point les ennemis acharnés de l’Islam sont en fait surtout en guerre contre eux-même, incapables de résoudre leurs contradictions d’européens soudain délestés de toute la puissance qui fut la leur au temps glorieux des colonies. Quoi de mieux, quand on est dans l’impasse, que de s’inventer un bouc émissaire extérieur pour expliquer ainsi le marasme qu’on a soi-même créé.

Défaite des maîtres et possesseurs
7.2
24.

Défaite des maîtres et possesseurs (2016)

Sortie : 7 janvier 2016. Roman, Science-fiction

livre de Vincent Message

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Même sans être - malheureusement - un grand connaisseur de science-fiction, j’imagine que l’idée de départ de Message n’est pas forcément très originale, à savoir placer l’Homme en situation de simple animal après la conquête de la Terre par des aliens plus fort que lui. Cela permet ici à l’auteur de jeter un regard assez cru sur la condition de bêtes d’élevage, mais heureusement ce n’est pas là (ça serait un peu court pour le coup) le principal atout du texte. Car partant de ce postulat, et en faisant d’un des nouveaux maître et possesseur le narrateur du récit, Message parvient à tisser une très belle réflexion générale sur ce que veut dire, en profondeur, le fait de s’arroger le rôle du Souverain auto-proclamé de la Création, hubris que nous endossons tous sans plus vraiment nous en rendre compte, et qui ne peut être qu’une impasse fatale. En résulte un texte à la fois éminemment sensible et d’un noir pessimisme malheureusement inéxorable, comme la chronique d’un lent naufrage annoncé.

Potemkine ou Le troisième coeur
25.

Potemkine ou Le troisième coeur

Sortie : 12 janvier 2012 (France). Roman

livre de Iouri Bouïda

Chaiev a mis 5/10.

Annotation :

Ca commençait bien cette affaire : Paris, 1926, le milieu des émigrés russes, une projection du Cuirassé Potemkine qui fait prendre conscience au héros qu’il a participé sans le savoir, 11 ans auparavant, à un massacre, et une vie qui s’effondre. Ouais, sauf que l’effondrement tourne au grotesque, façon mauvais polar beaucoup trop caricatural. Des cadavres en pagailles, du mysticisme chrétien incongru, une unijambiste sociopathe avec qui commence une cavale dans la France profonde sans aucun relief, heureusement que l’auteur est à demi conscient que tout ça ne mène nulle part et qu’il arrête très vite les frais.

Les Cigarettes égyptiennes
8
26.

Les Cigarettes égyptiennes (1964)

Beer in the Snooker Club

Sortie : 15 mars 2018 (France). Roman

livre de Waguih Ghali

Chaiev a mis 7/10.

Annotation :

Le roman autobiographique de Ghali est un peu le pendant « jeunesse dorée » des romans de Cossery. Mêmes personnages en marge, à la dérive, dans une Egypte en pleine transition, mais vue du côté de Zamalek et de Garden City, dans la bourgeoisie plus ou moins désargentée obligée de s’adapter aux changements instaurés par Nasser en 1952. Au fil des aventures du jeune Ram, un copte en rupture de ban, cossard et fêtard, et de ses amis bien nés, qu’ils soient musulmans, coptes comme lui ou juifs, l’auteur dresse l’air de rien, à travers ses personnages attachants, un portrait d’un pays déchiré, s’émancipant difficilement de la domination britannique.

L'Enquête
8.9
27.

L'Enquête

Essai, Histoire, Culture & société

livre de Hérodote

Chaiev a mis 9/10.

Annotation :

Non, Hérodote n’est pas l’inventeur d’un Sherlock Holmes en jupette et sandalettes trainant sa loupe sous le soleil d’Athènes (heureusement, parce que ça aurait foutu le feu à tous les indices, pour ça vaut mieux être à Londres), mais il inaugure tout de même, voilà 2500 ans, le métier d’historien-ethnologue, avec un allant communicatif et une ténacité impressionnante. Son investigation est à la fois un voyage dans le temps et dans l’espace : déterminé à raconter les guerres médiques qui ont vu fondre sur la Grèce continentale les armées perses de Darius d’abord, puis de son fils Xerxès au début du Ve siècle avant JC, le voilà qui s’embarque dans une revue détaillée des forces en présence et des causes du conflit qui se terminera par la déconfiture des Barbares face aux Hellènes provisoirement coalisés. Très inspiré par Homère, il tente en fait de glisser l’épopée dans des habits nouveaux, ceux de la prose, pour détailler les habitudes, les moeurs et l’histoire de tous les peuples (plus de 50) embarqués dans l’aventure, le tout sur près de 150 ans. En suivant Hérodote dans son périple, on apprend donc non seulement à quoi ressemblait l’Egypte ou la Perse de l’époque, mais aussi comment les Grecs du Ve siècle se représentait le monde connu, comment une armée d’un million d’homme se déplaçait, comment on se battait, comment on délibérait, comment on trahissait et comment on se vengeait à Suze, à Athènes ou à Sparte, le tout saupoudrés de centaines de petites anecdotes réalistes ou mythologiques. Bref, c’est tout un univers bigarré se déployant sur 1600 pages, qui se lisent finalement comme un roman policier.

Alias
7.3
28.

Alias (1935)

Sortie : 2006 (France). Roman

livre de Maurice Sachs

Chaiev a mis 9/10.

Annotation :

Dans son premier roman, publié à 29 ans, Sachs utilise le filtre de la fiction pour relater son arrivée à Paris et son entrée au séminaire, épisodes que l’on retrouvera sous forme de mémoires dans Le Sabbat et de journal dans Au temps du boeuf sur le toit. Plus de distance, moins d’introspection (exercice difficile auquel l’auteur excelle), mais toujours le même humour et la même ironie pour dépeindre le petit milieu parisien dans lequel il est catapulté à 17 ans, sans ressource, sans parents. Ses descriptions du salon de Mme Charpon, une Verdurin ratée, sont absolument irrésistibles, et la moindre rencontre donne l’occasion à sa plume de faire des étincelles. La fin du roman laisse entendre qu’il ne s’agit que de la première partie d’un cycle à venir. Malheureusement, l’Histoire en aura décidé autrement.

« Et lorsque Montcalm parlait c’était avec une gaité et une sincérité de sentiments à cause desquels on s’attachait à lui davantage. Il était un de ces garçons moins rares qu’on ne croit mais qui n’ont guère de place dans les livres parce qu’il ne leur arrive rien qu’un auteur croit digne d’intéresser le lecteur. Un de ces garçons, bons et francs mais libres qui travaillent bien, qui prêtent sans façon leur corps si cela peut faire très plaisir à qui les désire et qui ne font de la vie nul embarras, qui évoluent à travers les milieux les plus divers avec une aisance naturelle, qui rient de tout et ne s’étonnent de rien, non par ironie mauvaise, non parce qu’ils sont blasés, mais parce que la vie leur est bonne et les fait rire, et parce que s’attendant à tout avec bonne humeur ils ne sont pas surpris par la folie du monde. Et ce qui les fait tellement meilleurs que d’autres, ce qui fait qu’ils tranchent sur d’autres garçons de leur génération, c’est qu’ils ne sont pas frivoles, qu’ils savent d’instinct que la gravité et la joie ne sont pas ennemies. »

Les Années sans pardon
29.

Les Années sans pardon (1971)

Sortie : 16 septembre 2011 (France). Roman

livre de Victor Serge

Chaiev a mis 8/10.

Annotation :

Mis bout à bout, les romans de Victor Serge dessinent un portrait lucide et inestimable de la première moitié du XXe siècle, entre 1913 et 1946, un quasi reportage sur les années de lutte, de doutes, de revers de tous ceux qui ont voué leur existence à lutter contre le fascisme et la barbarie capitaliste. Un portrait tout en nuances, qui ne fait jamais l’impasse sur les contradictions et les exactions commises dans chacun des deux camps en présence. Les « Années sans pardon » s’attache à la période 39/46, autour des figures de Sacha et Daria, deux déçus du communisme stalinien, traversant une Europe en guerre avant d’aller se réfugier au Mexique, pensant finalement que la fuite est encore la seule façon de se retirer d’un jeu tragique sans trahir. Le livre se décompose en quatre partie : un Paris labyrinthique où chaque rencontre est une menace potentielle, Léningrad assiégée, Berlin à l’heure de la défaite allemande, et le Mexique lointain et mystique, écrasé de chaleur. A chaque fois, l’écriture de Serge serre au plus près le vécu des hommes et des femmes, mêlant réflexion philosophique et politique aux gestes les plus quotidiens. Serge fait partie de ces témoins rares, ennemis du dogmatisme, dont la voix est inévitablement tenue sous le boisseau tant elle dérange les certitudes, et qui pourtant s’obstine envers et contre tous.

Danton
30.

Danton (2016)

Sortie : 2016. Histoire, Biographie

livre de Martine Lecoq

Chaiev a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Il est parfois des pas de côté salutaires, et avec cette cette biographie si particulière Martine Lecoq parvient à renouveler la démarche historique en livrant un portrait tout ce qu’il y a de plus personnel, et pourtant tout ce qu’il y a de plus précis d’un des personnages les plus fascinants de la Révolution française. L’autrice revendique ouvertement la subjectivité de son approche, qu’elle explique, commente et et interroge au fur et à mesure que son texte se construit : il est ici question de regarder de l’intérieur des évènements qui sont à la fois connus et hors de portée, de raconter un caractère, une vision du monde, une aventure humaine selon les traces qu’on en a bien sûr, mais aussi et surtout selon les ondes telluriques qu’ils peuvent encore éveiller en nous deux cents ans ans après, à une époque qui n’a plus rien à voir avec celle où ils ont eu lieu. Lecoq n’est pas historienne, donc, mais ne voit pas en quoi cela l’empêcherait de faire de l’histoire, et grâce à cette ambition folle, doublé d’un sens acéré de la compassion, elle réussit à rendre vivante et palpable la trajectoire hors du commun de l’ogre Danton. Son amour inconsidéré pour le personnage ne l’empêche d’ailleurs pas d’être objective quant à ses zones d’ombre, et ne l’entraine jamais dans une simple justification de ses choix, de ses positions. Non, l’amour c’est bien de savoir englober une personnalité, de la suivre dans ses mouvements de fond, et de dégager ce qu’elle a d’exceptionnel et d’inaltérable. Il s’agit là d’un livre d’une rare intelligence non seulement sur Danton, mais par dessus tout sur les cinq années qui séparent la prise de la Bastille de la chute de Robespierre, cinq années hors du temps, qui auront obligé tous ceux qui avaient décidé de renverser l’ordre établi de se confronter à la violence du pouvoir, à la cruauté de la passion, à la lâcheté de l’homme, et aux remous exceptionnels que cette lutte à mort entrainera en eux-même.

« Lorsque j’écris cette biographie qui n’en est peut-être pas une, je deviens le médium éveillé de mon modèle, je lui permets de parler en moi. Je ne peux faire autrement. C’est mon style, ma pensée, l’énergie de ma vie, de mon passé, de ma présence au monde, mais c’est lui aussi, comme s’il y avait entre nous une intimité inextricable. Je ne veux pas la sonder, je la sens. Je ne veux que répondre à son appel mystérieux, en ignorant tout de sa finalité comme de sa raison d’être."

Chaiev

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