Alouettes démarre quelques années après les événements du tome 1 (L'héritière) et l'on y retrouve avec plaisir l'oncle Géraud, toujours aussi notarial et immortel, le vampire Navarre, toujours aussi sexy et amateurs de BD, la sirène Zalia, toujours aussi pétulante et délurée, et Agnès, toujours aussi déprimée et alcoolique.


Alors au premier abord on se dit que ça fleure bon (ou mauvais, c'est subjectif) la Bit' lit' cette petite série là (comprenez : Bit = to bite (mordre) et Lit = Literature, de la littérature vampirique romantique en quelque sorte dans laquelle on inclue des oeuvres comme Twilight, True blood ou Bitten par exemple). Mais c'est mal connaître l'univers de l'auteur, qui reprend certes les codes du genre mais en y insufflant son humour décapant et irrévérencieux, ses jeux de mots douteux (qu'ils soient libidineux ou scientifiques), ses personnages certes un peu caricaturaux mais tous fêlés du bulbe et croquignolets à leur manière (on aime d'ailleurs ce côté un peu nerd de notre chère Agnès), et ses enquêtes whatzeufeuck à propos d'olisbos ensorcelés (je vous laisse faire la recherche, j'avoue avoir appris ce mot en lisant l'ouvrage) et de sites de rencontres online à Chatou qui nous font voyager dans un Paris-banlieue futuriste et surnaturel plein de charme.


Parce que oui, la série se passe dans les années 2030, où les inégalités en France n'ont fait que se creuser, où le terrorisme a fait sauter les places touristiques du centre-ville, où les meutes de loups-garous militent à gauche ou se radicalisent à droite, où les banlieues tentent de survivre tant bien que mal et où les fantômes d'une ville millénaire déjà bien pourvue en histoire sanglante s'accumulent encore et toujours sous le regard un peu trouble d'une Agnès shootée au single malt écossais. Tout ça sous le nez d'un petit monde surnaturel et mythologique très tourné sur lui-même qui n'en a pas grand chose à faire des petits problèmes des humains (sauf quand il risque d'imploser et d'annihiler toute vie sur Terre, ils ont quand même les priorités aux bonnes places).


D'un côté nous avons donc un roman humoristique et farfelu, mâtiné de références littéraires variées (que ce soit des oeuvres mythologiques classiques au théâtre de Shakespeare, en passant par les oeuvres plus contemporaines comme Blade Runner ou Red Sonja dont les geeks comme moi raffoleront) et d'un langage maîtrisé et étudié qui balance entre l'argot parisien et le précis de neurobiologie (si si, où comment désamorcer le côté mièvre d'une scène de sexe inachevée, et en plus ça marche très bien !) et de l'autre un roman qui n'hésite pas à reprendre l'actualité et à faire réfléchir l'air de rien sur des problèmes de société - la racisme, les préjugés ou encore le harcèlement, et j'en passe.


Et oui, comme dans la Bit' Lit', on cause pas mal sexe chez Agnès Cleyre. Mais là où dans les romans de Bit' lit' le sexe est omniprésent et pas franchement excitant parce que mal écrit... ou beaucoup trop vulgos parce que mal écrit... ou juste mal écrit en fait... (j'ai encore des souvenirs d'une série chez Milady avec une héroïne exorciste que j'ai refermé après avoir lu les trois premières pages d'une mise en scène de sexe par téléphone particulièrement inutile, ridicule et réfrigérante... Nope.) le roman de Jeanne-A Debats est à propos de sexe. On y parle de désir et de relation sexuelle sans tabou et intelligemment. Et aussi avec beaucoup d'humour !
Agnès n'est pas l'héroïne bad-ass superbement gaulée des romans habituels du genre, mais juste mademoiselle passe-partout du haut de son un mètre cinquante - ou quatre pieds onze pour nos amis de la Belle province (!). Dans le premier tome elle est petite et un peu trop maigrelette, dans le second elle mange ses sentiments et accuse quelques kilos en trop "par rapport à son IMC". On pense un peu à une Bridget Jones, mais avec plus de neurones et de jugeote - et quelques pouvoir surnaturels. Elle n'hésite pas à évoquer ses complexes, ses désirs, ses craintes, et même à étaler ses défauts (addictions ravageuses qui vont avec tout le package), et le lecteur - qu'il soit homme ou femme - s'identifiera naturellement à son personnage.
Le sexe dans le monde de Jeanne-A Debats est aussi vu à travers le prisme du surnaturel, car souvent les êtres de "l'Altermonde" vivent une sexualité beaucoup plus libre et débridée, découlant certainement de leur longévité et de leurs nombreuses expériences ou tout simplement de leur nature même (vampire, incubes, succubes et faunes pour ne citer qu'eux, sont des créatures liées au désir et à la luxure).
Et donc dans le second tome y a un


dildo magique


. Rien que ça, ça vaut le détour.
Que je vous rassure, ici pas de descriptions dégoulinantes de relations sexuelles à la Fifty Shades of Grey, je pense même qu'il y a plus de dialogues de Shakespeare dans ce tome que d'actions charnelles.


Bref, pour moi, la série de Jeanne-A Debats est une petite perle d'humour grinçant et absurde, un bouillon de culture désaltérant et très bien écrit qui fait du bien par où ça passe. Si on doit vraiment le comparer, on pense à des oeuvres comme celles de Jim Butcher et parfois à du Jasper Fforde.


http://www.lalibrairiefantastique.com/2018/04/alouettes-de-jeanne-debats.html

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le 28 avr. 2018

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