Clive Barker est un prodige.
La messe est dite, chers amis!


Clive Barker est un prodige. Ne laissez aucune idée pervertir cet axiome! Et si par mégarde, il vous est arrivé de lire dernièrement "Les Evangiles Ecarlates", oubliez-le aussitôt, tant ce dernier objet littéraire est une farce. On a bien du mal à imaginer notre bon vieux Clive écrire une chiasse pareille, et je ne me l'explique toujours pas. Mais croyez-moi sur parole, le reste est un trésor.
"Les Livres de Sang" ont lancé la carrière de Clive Barker. Sa mission était simple: explorer les territoires du fantastique au-travers de son imagination unique, et ce au-travers de différentes nouvelles. Chaque recueil est globalement un bijou: on retient ici ou là quelques baisses de rythme, mais ça ne vient jamais ternir l'impression globale d'être face à de véritables petits chefs-d'oeuvre (petits par la taille, jamais par l'ambition).
Oh! J'aurai du mal à vous décrire le style sans comparaison, l'univers incroyablement original de cet auteur. Et j'ai également peur de me répéter. Mais peu importe, on ne se lasse pas des bonnes choses. Je ne parlerai ici que du versant littéraire de cette icône qu'est Clive Barker, tant l'artiste est multifacettes et que je n'ai exploré finalement, qu'un infime pan de son univers.


Clive Barker ne se range jamais dans un carcan littéraire. Touchant autant au fantastique rigoureux qu'à une fantasy classique, explosant les deux pour mieux les fusionner: c'est toujours une sacrée expérience littéraire que de se plonger dans ses pages. Son imagination? Incroyable. Ses bouquins regorgent de créatures torturées, d'environnements baroques, où à chaque instant le plaisir se tord jusqu'à aboutir à la douleur, et cette douleur se liquéfie en plaisir et le cycle recommence... Comme le cycle de la chair: suppliciés, magnifiés, les corps de Barker sont mis à rude épreuve. Les thèmes sont développés avec une culture incroyable, parfois théologique, parfois sociologiques et toujours d'une justesse émouvante. Les scènes à remémorer sont incalculables, tant PERSONNE n'a jamais fait comme Barker, et ne fera jamais. Ce n'est pas dans nos peurs que va chercher Barker, ni dans nos désirs: ce sont les siens qui servent de catalyseurs à toutes ces histoires. L'imagination de Barker est un grand lac, et plutôt que de nous amener un peu de cette eau, Barker nous y plonge avec un professionnalisme époustouflant. Parce qu'évidemment, en plus d'avoir une imagination irrésistible et peu commune, Barker est un excellent écrivain. Ces seules nouvelles sont suffisantes: d'un style impeccable, Barker immerge son lecteur avec une aisance tenant du génie.
Rien ne va de travers: Barker mène sa barque comme il l'entend, et c'est un avec une finesse jusque dans les moindres détails.
Vous l'aurez compris, j'adore Clive Barker.


Ce quatrième recueil des "Livres de sang" n'est pas le meilleur des six, il n'en reste pas moins une lecture extrêmement agréable et d'une haute qualité parfaitement compatible avec les cinq autres tomes. Je vais tâcher de dire quelques mots sur chaque nouvelle.


"Le Corps Politique" ressemble à un jeu narratif, tant Barker semble s'y être amusé. Pour faire simple, on réalise dans cette nouvelle que les mains, loin d'être la simple extrémité de nos membres supérieurs, sont en fait des entités indépendantes rêvant de liberté. Et c'est ainsi qu'elles conspirent, dans notre sommeil, contre nous. Des mains indépendantistes, si vous voulez, prêtes à en découdre pour parvenir à leurs fins. Naturellement, Barker nous glisse ici un second degré bienvenu et plutôt léger, avec quelques références politiques amusantes et intelligentes (assistez donc aux dialogues entre "la gauche" et "la droite"). Et c'est ce second degré qui tolère quelques scènes de violence jouissive, gratuite et improbable. Cela n'en fait tout de même pas une nouvelle exemplaire, au contraire: c'est agréable à lire, amusant mais ne s'élève pas vraiment au-delà du jeu entre le lecteur et l'absurdité des situations.


"La Condition Inhumaine" est beaucoup plus complexe. C'est là que Barker est le moins sympathique avec son lecteur: il a cette capacité extraordinaire à créer un mythe et des idées vertigineuses en quelques dizaines de pages. Le problème, c'est qu'il faut encore comprendre ce qu'il veut nous dire, et ce n'est pas évident. Je ne vous spoilerai évidemment pas, et vous toucherai juste quelques mots de l'histoire: de jeunes adultes aux moeurs violentes (pas sans rappeler Orange Mécanique, d'ailleurs) molestent un SDF pour le plaisir. C'est à ce moment là que le narrateur ramasse dans une des poches du vieillard une petite ficelle possédant trois noeuds quasiment impossibles à défaire. Et notre narrateur est bien loin d'imaginer qu'en s'acharnant, hypnotisé, à défaire ces noeuds, il allait libérer des fléaux mystérieux rappelant une horreur indicible... Là encore, ce n'est pas la meilleure nouvelle du recueil. Le propos de Barker, s'il est passionnant, n'est pas servi par une intrigue suffisamment compréhensible ou même des personnages auxquels on adhère. Intéressante, forte en réflexion, mais rien de plus.


On passe à une toute autre gamme avec "Apocalypse", excellente nouvelle. Un prêcheur, connu dans le milieu pour la qualité de ses interventions, est obligé de s'arrêter dans un motel anodin, avec sa femme et son agent, suite à une tempête. C'est évidemment sans savoir que cette nuit, elle, est loin d'être anodine et est l'écho d'un passé pas si lointain, où l'hôtel fut un lieu de meurtres et de passions viciées. Barker est ici, impérial: le rythme est parfaitement bien mené, l'ambiance tient du chef-d'oeuvre. On a l'impression d'y être: on ressent le malaise, le bizarre, la tristesse et l'incompréhension de plein fouet. Génial.


La nouvelle suivante, "Retro Satanas", beaucoup plus courte, n'est pas moins intense. Racontant rapidement mais avec une véritable virtuosité littéraire l'établissement d'un Enfer sur Terre, je peux vous garantir que Barker vous livrera ici quelques images indélébiles qui vous resteront en tête, longtemps...


Dernière nouvelle, et pas des moindres non plus, "Le siècle du désir". Un laboratoire, dépassé par ses propres recherches (peu éthiques, évidemment), laisse s'échapper un cobaye pour lequel l'expérience a mal tourné. Une expérience qui visait à étudier le désir, sous toutes ses formes. Et surtout: comment l'activer chez l'homme. S'en suivra un déluge de violence, décrit avec une poésie salvatrice, et une réflexion sur ce grand thème du désir qui, vous l'aurez compris, est parfaitement intelligente.


Alors, ce recueil "Apocalypses", s'il n'est pas le meilleur, reste un excellent ouvrage que tout amateur de fantastique se doit de posséder. Barker y déploie, une fois de plus, un génie extraordinaire. N'hésitez pas à le découvrir.

Wazlib
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le 11 nov. 2017

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