Pas de doute possible, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond est bien un autoportrait, une sorte de journal intime où l'auteur tente de saisir l'unité de son individualité au travers de ses récits sur la pratique de la course à pieds et de l'écriture.


Je trouve très précieux le fait d'avoir accès à la réflexivité d'une personne pratiquant la course à pieds depuis des dizaines d'années. J'aime lire des témoignages de sportifs et sportives, des retours d'expérience, découvrir que tout le monde a mal et que rien n'arrive sans entraînement ni joie ni douleur : il faut embrasser le package en entier.


Étant moi-même une coureuse en herbe, Murakami m'a permis de mettre des mots sur des choses que je pressentais en moi, comme par exemple le "blues" du coureur dont il parle à la suite de son ultra marathon, que j'ai ressenti après mon premier (et dernier, mais pour le moment seulement) marathon.


Mais d'un point de vue littéraire ...


Si l'auteur avait écrit ce petit livre en one shot, d'un trait comme ça, ou bien au jour le jour comme on écrit, fatigué, le soir, sans souci du style, les souvenirs de sa journée, alors j'aurais compris que l'écriture soit peu précise, un peu grossière, la description des sentiments et des paysages pas très complexes, le lien entre course et écriture sans cesse évoqué mais jamais vraiment décrit en profondeur.


Jusqu'à la fin, j'étais persuadée que ce livre avait été publié comme un journal intime, non retravaillé, de la matière brute. Jusqu'à la fin, où l'auteur écrit :


"Je me suis beaucoup appliqué à la composition et à la rédaction de cet ouvrage. [...] J'ai dû reprendre mon manuscrit à de nombreuses reprises pour parvenir à trouver le juste équilibre entre ses différents chapitres."


C'est toujours le problème avec les récits sur soi, on parle de soi et c'est bien de soi dont il s'agit quand on fait un autoportrait. Mais je pense que le livre aurait eu à gagner en profondeur si l'auteur avait parlé de lui par rapport aux autres, de sa place sociale.


Par exemple, il nous dit qu'il voyage beaucoup, qu'il a toujours été autonome, qu'il ne fait que ce dont il a envie : j'aurais aimé qu'il nous dise d'où lui viennent ces qualités, que je nommerais plutôt privilèges.


Ensuite, il nous livre, presque innocemment au détour d'une phrase, le fait que beaucoup plus de personnes blanches que de personnes issues des minorités participent aux courses auxquelles il participe également. Mais il ne nous donne pas son avis sur la raison de sa présence parmi tant de personnes blanches. Il évoque un peu l'aspect compétitif/capitaliste des corps qui ont l'énergie d'aller courir chaque jour lorsqu'il décrit les jeunes filles étudiantes à Harvard qui le narguent de leurs jambes sveltes et le dépassent.


Mais rien de plus, pas d'analyse politique des raisons sociales qui font que chaque jour il se retrouve à courir et écrire ...


Pour moi, s'écrire soi permet de comprendre un peu mieux les autres,et là, j'ai seulement l'impression d'avoir mieux compris que Murakami aime courir et écrire.


Je reste sur ma faim, même si j'ai vraiment passé un moment agréable, et que je suis reboostée pour aller courir.


C'est déjà pas mal, vous me direz.

m_fromthesea
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le 8 oct. 2019

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m_fromthesea

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