*Baise-moi* était pour moi un film, que j'ai détesté. Réalisé avec des moyens amateurs, la mise en scène approximative ne laissait pas de place pour expliquer les actes ignobles des deux personnages.
Ensuite, j'ai lu et aimé Virginie Despentes et l'ai entendue dire qu'après *Baise-moi*, elle s'était calmée, ce qui m'a attiré étant donné le ton direct de ses écrits.
C'est avec plaisir et une certaine perversion que j'ai découvert la colère originelle de cette écrivain. Rien ne se justifie autrement que par la colère irrationnelle misanthrope des deux amies fraîchement rencontrées. Si je comprends qu'on puisse s'outrer de ces comportements outranciers, la parenté avec des écrits aussi bruts que ceux d'Hubert Selby Jr. (*La Geôle* et son sadisme sans limite) ou de Charles Bukowski (cité dans le livre), ou simplement le style très spontané sont tout-de-même assez clairs. Il s'agit d'une fiction support à l'exutoire pur d'une personne très en colère contre le monde.
C'est très poussé. Le viol, le cul à outrance sont déjà une certaine entrée en matière, mais qui déjà pose un point de vue singulier sur ces questions. Ensuite, on tue tous les cons, ce qui n'est pas une leçon de tolérance. Puis on tue même un enfant gratuitement, pour la seule fierté de l'avoir fait. L'identification, si tant est qu'on puisse en avoir au début, s'évapore à mesure que le personnage double s'enfonce de plus en plus dans l'extrême non-pensée de ses actes. Elles visent finalement le suicide, seule échappatoire possible au bout de leur démarche.
Je ne pense en aucun cas que le lecteur est censé approuver ces actes. Au travers d'un livre court, Despentes dépeint toutes les raisons de conchier une société jusqu'à s'en extraire, les violences décrites étant des réalités. Puis à travers le choix de s'extraire, cette colère prendra des proportions qui dépassent l'entendement. Si cette violence n'est aucunement justifiable, elle est là pour résonner avec les violences sociales, tout aussi absurdes, brutales et gratuites. La violence des protagonistes n'est que la conséquence de leur vécu avant extraction du monde. La récolte de ce qui a été semé.
Autre intérêt, la question de l'alter ego. La proposition ici, selon moi, est qu'il ne vaut mieux pas le rencontrer. Nadine et Manu forment, comme le dit un personnage, une personne à deux têtes; et à la lecture, les deux se confondent parfois. Par là, il y a l'idée que les passages à l'acte ultra-violents ne sont rendus possibles que par cette rencontre improbable d'une personne avec son alter ego et propose donc un constat macabre sur notre époque. Être seul et souffrir en silence de la violence sociale, ou partager la folie destructrice avec le miroir de soi-même.
L'exutoire a fonctionné sur moi. L'échappée de Nadine et Manu, dont les seuls plaisirs sont l'alcool, le sexe et le meurtre gratuit a déteint sur moi, lecteur. L'extrême de cette évasion de fiction offre un souffle appréciable, une certaine expiation par procuration, pour peu que l'on partage certaines colères.
Dans un style totalement différent, c'est ce qu'a proposé Ana Gavalda dans *L'Echappée Belle*. A choisir, je trouve le colossal crachat de venin plus efficace.
Voilà quelqu'un qui, à 23 ans, s'est opéré une énorme catharsis par les armes de la fiction et, qu'on l'apprécie ou pas, a grandement réussi à la communiquer.