Un huis-clos ouvert sur l'univers. Une formule, à mon sens, résumant bien l'esprit de ce roman écrit par Robert Charles Wilson entre les Chronolithes et Spin. Ainsi l'espace physique où se jouera la majeure partie du roman est réduite à quelques hectares grillagés d'une base scientifique perdu dans le Minnesota comme un os rongé dans le sable : Blind Lake. Mais si l'axe horizontale est diminué, c'est peut être mieux pour se focaliser sur le vertige vertical. En effet, Blind Lake est une base résolument tournée vers les étoiles puisqu'elle utilise un tout nouveau type de télescope, une sorte de galimatias esthétique de processeurs quantiques et de singularité détournée. On le dénomme l'œil. Scrutant les planètes, il sera également lui même l'attention de tous les regards, des songes cotonneux, des espoirs enfantins ou des craintes ataviques en raison de sa nature ambiguë et dérangeante. Et de son pouvoir (de résolution ou non) inhumain. Ainsi, l'œil observe et retransmet la vie du Sujet. Le Sujet, une sorte de homard bipède doué d'intelligence au sein d'une société plus proche des hyménoptères que de l'homo-sapiens, est donc la pierre angulaire de Blind Lake. Une horde de scientifiques d'avant-gardes y travaille, Wilson y décrivant de façon pertinente et intelligente ce que pourrait être les problèmes rencontrés par de probables exobiologistes et exoanthropologues face au manque d'intelligibilité ou d'invariants sociologiques entre deux mondes séparés par une cinquantaine d'années lumières, avec la cohorte de débats associés entre optimistes et éternels septiques ( de l'ethno-différencialisme scientifique en quelque sorte). Le contexte ainsi établi, la véritable trame soutenant tout cela peut commencer : Alors que trois journalistes d'une revue de seconde zone, personnages faisant figure de « paumés » caractéristiques de l'auteur, arrivent sur le campus scientifique, le blocus est déclaré brutalement sans autre explication, et va s'ensuivre alors près de 500 pages où les protagonistes, coupés totalement du monde extérieur, chercheront à s'y retrouver dans l'angoisse de cette situation. Situation concordant étrangement avec le comportement inhabituel du Sujet : Selon des critères humains, il semble être parti pour un pèlerinage aux confins des terres arides !

Une critique que j'ai entendu à propos de ce roman est qu'il ne contenait pas assez de SF pure et dure. Certes, elle est avérée si on recherche un livre où ce critère est saillant à toutes les pages, sinon, il serait bien dommage de se priver de Blind Lake pour cette raison. La SF ici est clairement, presque trop explicitement, un miroir à notre place dans l'univers, à notre évolution, à la signification de singularité et d'altérité, et se révèle ainsi distillée en toile de fond sous forme d'un lointain voyageur, où l'exotisme de ses pas, sa condition inédite et sa pensée inextricable en font une source d'empathie dérangeante, et peut être au final celle ci, sous une tournure mélancolique, se centre dérisoirement et fatalement sur nous. Peut être alors que le thème de la folie, récurrent dans le pavé, n'y est pas de manière anodine. Acrobatie de géomètre, la longue-vue se déplace au ciel, à défaut de pouvoir scruter la civilisation. Alors certes, nous ne sommes pas inondés de Hard Science, mais ce que Blind Lake perd en crédibilité, il le rattrape en humanité. On s'attache très fortement aux personnages, des journalistes désabusés à la fillette extra-lucide, un flot de chaleur s'installe entre ceux-ci, d'autant plus bienvenue et d'apparence douillet qu'il contraste avec le rude hiver où les congères glacées viennent de finir de fixer un tableau oscillant entre pittoresque du quotidien et vertige métaphysique.

Accusant quelques longueurs par moment qui ne m'ont pas vraiment dérangé, puisque qu'elles contribuaient efficacement à faire monter le suspens confinant ainsi le genre au thriller psychologique, et la fin étant tout à fait honnête mais un poil entendue, il me reste cependant de Blind Lake une légère déception, une envie d'un zeste de quelque chose de plus fouillé. Enfin, ne vous y méprenez pas, j'ai adoré et dévoré d'une traite Blind Lake, mais derrière cette aventure teintée de l'amertume de la solitude du chercheur, de la magie qui font les tentatives d'architectures du cosmos, il demeure un léger manque de développement et d'approfondissement que Spin ne possède pas. En conclusion, je le conseille tout de même vivement, il reste d'une excellente facture et une merveilleuse évasion douée de sens. Notons également un humour partiellement présent que je ne me rappelle pas vraiment avoir vu dans Spin, qui rajoute un petit charme rigolo à la morgue métaphysique du Golgotha organique. (« Mais pourquoi tout ce que les humains ne comprennent pas doit-être comparé à quelque chose d'échoué sur la plage ? »).


Enterocoque
8
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le 23 nov. 2011

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