A une période jamais précisée, mais qu’on peut évaluer (vers 1870) à l’ambiance western qui évoque la possible installation prochaine d’une ligne ferroviaire, le jeune Will Andrews débarque de sa diligence dans la bourgade de Butcher’s crossing (le carrefour des bouchers). Il vient de Boston, ville importante de la côte Est, marquée par le puritanisme ainsi que par l’immigration irlandaise.


Andrews a entendu parler d’un certain McDonald qui vit en solitaire et pourrait lui enseigner un certain nombre de choses. Quoi ? McDonald traite et vend des peaux de bêtes, mais se montre peu communicatif. A Butcher’s crossing, Andrews rencontre Miller, un chasseur client de McDonald. Bavard et sûr de lui (trop ?) Miller sait où aller chasser le bison, dans un coin reculé du Colorado.


Le projet de Miller, à Butcher’s crossing tout le monde en a entendu parler. Depuis peut-être 10 ans, cela tourne à l’obsession et personne n’a jamais voulu le prendre au sérieux. Pourquoi Andrews l’écoute-t-il ? Inconscience, naïveté, envie de fuir quelque chose ou quelqu’un ?


Le roman décrit le voyage de l’équipe (mélange de caractères forts et d'autres plus faibles) réunie par Miller en deux temps trois mouvements, son arrivée dans le Colorado avec de nombreuses péripéties qui tiennent en haleine. Une fois le site découvert, la chasse elle-même entraine quelques réflexions pour le lecteur (la lectrice) de 2019. En effet, le roman date de 1960, époque où la conscience écologique n’était encore que balbutiante.


Les chasseurs accèdent à une vallée encaissée où ils peuvent acculer un important troupeau de bisons. Animaux étrangement passifs (et donc pas futés), ils se laissent massacrer quasiment sans réagir. Tout juste s’ils s’éloignent progressivement des chasseurs, les incitant à déplacer leur campement. Surtout, les chasseurs ne s’intéressent qu’aux peaux des bisons, qu’ils entassent dans leur charriot à la va-vite, sans compter. Emmenés par Miller, l’équipe organise un massacre en règle. Miller ne voit que le gain potentiel à la vente des peaux. A ce compte, plus il tue de bisons, plus il y gagne. Un gâchis monumental, sachant que les carcasses seront abandonnées sur place pour pourrir ou devenir la proie des charognards. Aveuglé par l’appât du gain, Miller ne réalise même pas les risques qu’il prend en chargeant son chariot pour le retour.


John Williams (non, pas le musicien) met ainsi en évidence la propension humaine à agir selon un intérêt individuel sans se soucier de l’intérêt commun, surtout en ce qui concerne l’avenir à long terme. S’il n’y a plus de bisons dans ce coin, Miller ira en chasser ailleurs. Le roman se situe donc encore au temps de l’abondance insouciante. L’auteur ne se veut pas spécialement alarmiste (en 1960, on ne parlait pas encore de société de consommation). Par contre, il se montre assez pessimiste sur la nature humaine et les fondements de la société. Illustration avec un échange entre McDonald et Andrews rentré à Butcher’s Crossing :




  • ... Sans doute parce que moi-même, je ne savais pas ce que je cherchais.

  • Et maintenant ?
    Andrews s’agita nerveusement
    « Les jeunes, répéta McDonald avec mépris. Vous croyez toujours qu’il y a quelque chose à découvrir

  • Oui monsieur.

  • Eh bien, il n’y a rien à découvrir. Vous naissez, vous tétez votre lait sur fond de mensonges, vous vous sevrez sur fond de mensonges et vous apprenez des mensonges encore plus élaborés à l’école. Vous passez toute votre vie avec des mensonges et quand vous êtes sur le point de mourir, vous avez une révélation – il n’y a rien, rien que vous et ce que vous auriez pu accomplir. Sauf que vous n’avez rien accompli, parce qu’on vous a assuré qu’il y avait autre chose, après. Alors vous vous dites que vous auriez pu devenir le maître du monde, parce que vous seul connaissez ce secret. Mais trop tard. Vous êtes trop vieux.



Le style de John Williams fait dans la simplicité étudiée. Sa prose joue la carte du naturel, à l’image de ce qu’il décrit dans son roman où une bonne partie se situe dans ce qu’on appelle le Wild West où la saison hivernale est particulièrement rude. L’apprentissage de la vie passe par l’aventure et ses imprévus, les réactions des uns et des autres face au danger et aux désaccords, l’attente et l’action qui font évoluer les relations entre les uns et les autres, la connaissance de la nature et la capacité de l’individu à y trouver une place, mais aussi la réflexion sur ce qu’est la vie et qu’en faire.


De retour à Butcher’s crossing, Andrews réalise qu’il veut revoir Francine, prostituée au grand cœur. Mais en une année, tout a tellement changé qu’il a du mal à trouver quelqu’un se souvenant de l’époque où il est arrivé. Lui-même a beaucoup changé, mûri par l’expérience et toutes ses observations. A l’image de ses mains : Francine avait remarqué leur douceur, désormais leur peau est rapeuse et calleuse.

Electron
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le 24 mars 2019

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