Je me souviens être sortie de ce livre et avoir lâché mon 9 sur Sens Critique comme une nécessité. Ce n’est pas une note que je mets souvent, et après coup j’ai pensé à le rétrograder, mais je pense que pour ce livre, l’impression à vif, le coup de poing, est une émotion légitime.


Le pitch peut donner l’image d’un roman assez léger, voire superficiel, sur « l’amour au temps des nouvelles technologies », en tout cas c’est comme ça que je l’ai abordé, en le prenant pour un « livre de repos ». Pas du tout.


La suite de cette critique va spoiler sévère parce que je n’ai pas trouvé de moyen de bien parler du roman sans cela, donc si vous n’avez pas lu le livre, voici en résumé pourquoi je le recommande :
- Si vous cherchez un de ces livres « puissants » qui laisse des marques.
- Si vous aimez les histoires de relations humaines, les interrogations existentielles, les personnages qui s’autoflagellent.
- C’est un livre plein de nuances, qui travaille la question de la réalité et la légitimité des sentiments.


[SPOILERS]
J’ai compris ce livre comme une réflexion sur la légitimité des sentiments.
Il commence par une longue diatribe contre le patriarcat, par l’expression d’une souffrance immense à être une femme. Politiquement on en pensera ce qu’on veut, mais littérairement c’est assez fort je trouve. C’est un parti pris direct, qui rentre dans le lecteur sans prendre de gant. C’est rageur, accusateur, ça ne s’excuse pas. C’est un vrai cri du cœur, qui fonctionne très bien.
Et puis cette colère se dilue dans l’histoire. Le ton revendicateur se fond petit à petit dans le récit des évènements tels que perçus par Claire. Mais cette première attaque pose le ton de ce qui va suivre : Claire n’est pas « raisonnable » dans ses arguments, elle est « excessive », elle ne peut espérer convaincre personne en rentrant comme elle fait sur tout ce qui bouge. Mais elle a le droit de crier, elle a le droit de ressentir ce qu’elle ressent.


Plus généralement, j’ai l’impression que le livre nous dit que la « vérité » importe peu quand on parle d’humanité. On ne sait jamais vraiment, dans le roman, si ce qu’on nous raconte est « ce qui s’est vraiment passé », ou juste la version biaisée du personnage, voire un roman dans un roman. Même l’avant-dernière histoire comporte des soupçons sur sa propre véracité (« tu m’accuses d’avoir volé le manuscrit d’une patiente », dit Camille (Laurens ?)). Et l’épilogue ? N’est-il pas trop absurde pour être autre chose qu’une scène de mauvaise série Netflix ? Et pourtant, on va croire à chaque histoire, à chaque facette du miroir. Personnellement, je me suis fait avoir à chaque fois : « ah, c’était donc ça ! » me suis-je dit à peu près mille fois.
L(es)’histoire(s) est présentée sous la forme de documents réels : enregistrements, notes médicales, lettre… Personnellement, ça m’a donné l’impression qu’il existait bel et bien une vérité dans tout ça. Qu’on était dans une enquête, qu’on allait remonter le fil jusqu’à la source : comment est mort Chris ? J’ai cru jusqu’au bout que Claire l’avait tué. Qui est la jeune fille sur la photo ? L’auteur laisse traîner en évidence l’indice qu’elle n’est pas juste une image trouvée sur Google. Qu’est-ce qui est roman, qu’est-ce qui est réalité ? Et finalement on est bien attrapés, à la fin c’est tellement parti dans tous les sens qu’on ne sait plus ce qu’il a de vrai. Et pourtant on a pleuré (enfin moi j’ai pleuré, hein), on a été soulagé, effrayé, déçu… Réellement ému par le roman.


Je développe un peu moins la thématique de la culpabilité et de la féminité. Je trouve que ce sont des thèmes très intéressants, et ils sont largement traités dans le livre lui-même, je n’ai pas besoin d’ajouter mon grain de sel. Est-ce que ces multiples fins qui ne sont jamais réellement définitives, entre la révélation sur le prétendu accident de Chris, la conclusion du cahier d’écriture de Claire, le basculement dans une autre réalité… est-ce que c’est une traduction littéraire de cette phrase de Marc, le médecin : « En commençant l’enquête dont vous avez connaissance, j’avais donc comme seul objectif de lui trouver une échappatoire, de lui enlever le poids de son écrasante culpabilité, de la remettre en mouvement, qu’elle puisse au moins sortir de ce terrifiant arrêt sur image » ? Il faut dire que l’extrapolation est tentante : empêcher que le mot « fin » reste affiché à l’écran, relancer le récit, redistribuer les cartes. La lectrice que je suis en tout cas avait désespéramment envie que ça ne s’arrête pas là-dessus, je voulais que Claire soit libérée de son « écrasante culpabilité ». Et comme le médecin, je n’ai fait que m’enfoncer dans une histoire de plus en plus tortueuse et sombre.


Je conclurai cette critique là-dessus : quand au bout du compte on abandonne l’idée de trouver la vérité, tout ce qu’il reste de ce livre, c’est la marque indélébile des émotions qu’il a suscité.

LeChatBleu
9
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le 14 mars 2016

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LeChatBleu

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