Corniche Kennedy c'est une falaise au vent des libertés, au zéphyr des sensations juvéniles, à l'insouciance des actes et paroles crus, puissantes, divines ; Corniche Kennedy c'est un style haché, noyé dans le rythme dynamique, hyper-actif des jeunes paumés de notre société. Il y a du dialogue encastré dans la chair du récit, il y a des descriptions encrées dans les sensations mouvantes, cruelles de ces trois personnages sublimes. C'est surtout une plume qui percute, qui ne laisse pas indifférant. Maylis De Kerangal propose une épopée enfantine, où les adolescents vibrent de leur corps, de leur être, tremblent face à cette recherche de soi tandis que l'adulte rôde sous la personnification d'un personnage rêvant de retrouver sa jeunesse perdue.


C'est un rouleau de sensations, pas de dialogues, ce qui peut perturber le lecteur au premier abord, les paroles sont harmonie avec les descriptions, les gestes des personnages. Dans ce roman le temps va vite, il essouffle, il happe l'esprit, il étouffe, c'est un rythme soutenu, une mélodie où chaque instant dégringole dans un enfièvrement d'actes grisant pour ces jeunes souhaitant une liberté sans borne. En cela les mots, les phrases de Kerangal sont authentique, forts, riches, justes ; ils percent un trou dans le coeur du pauvre lecteur qui suit les aventures, ce sourire aux lèvres tandis qu'il rêve lui même de sauter par dessus le danger, d'affronter sa peur pour devenir plus fort. C'est cela grandir n'est-ce pas ? L'amour nait entre deux protagonistes, l'une est riche, l'autre respire le jeu du masque quand il cache une âme gelée de douleur. Le sentiment bourgeonne non pas de manière niaise, délicate, c'est un déferlement de questionnement, de doutes, d'attirance retranscrit magnifiquement bien. C'est le lecteur qui ressent, avalanche s'écroulant grâce aux longues phrases ne laissant pas de répit. Ce qui est admirable c'est l'enchaînement des mots, des actions, des répliques qui ne forment qu'un tout au long du récit ! Garder un rythme, une harmonie sans longueur est une prouesse, un talent.


Quelques rares fois au cour de cette expérience je n'ai pu m'empêcher de faire la comparaison avec Peter Pan, plusieurs Peter Pan modernes en réalité : la dualité entre l'adulte et l'adolescent est omniprésent, offre un contraste vibrant. Il est vieux policier s'occupant d'histoires criminelles avant de s'échouer sur la falaise, son devoir imposer un ordre illusoire. On pourrait presque dire qu'il a un rôle de muselière face à ces jeunes ivres d'espérances, d'insouciances tandis que ces derniers ne sont qu'émotions pures, brutes ; ils vivent dans la chair, dans le présent, écoutent leur instinct sans se poser de questions, la raison disparaît au profit de la vie simplement, celle du coeur et non de l'esprit. C'est beau de voir les caractères, les comportements différents qui, collés l'un à l'autre augmentent l'état de l'un et de l'autre, entre en collision, se croisent, se rejoignent. Monsieur Vieux est la figure de l'avenir pour ces jeunes à l'avenir incertain, ces jeunes la figure du passé pour Monsieur Vieux.


Déçue cependant de la fin, je n'ai pas compris peut-être ce que l'auteur voulait dire, ce qu'elle voulait démontrer ; c'est un uppercut dans la gorge cette fin abstraite, brouillon qui laisse une trace livide sur son passage. Comme une peinture désagrégée par un coup de ciseau placé sur un élément important de la toile, la fin brise la magie du rythme, la falaise, cette falaise personnifiée, personnage clé du roman s'efface, les trois adolescents et Papy Opéra également dans une écume frustrante. Plus j'y songe, plus je me dis que la fin prête à trop d’interprétation possibles, à trop d'ouverture imaginative ce qui n'est certainement pas le bon choix pour une dynamique aussi dramatique, aussi intense. J'ai refermé le livre avec un gout amer aux lèvres. Pourtant c'est un récit atypique grâce à cette plume enchanteresse, un roman vecteur d'émotion dans une tempête de sensation. Il faut s'habituer au début de cette danse au parti pris de ce style original, un vrai style à la beauté des mots, à la beauté des tournures, à cette recherche d'esthétique permettant une large palette de sensations. La lecture est unique, dépaysante, plaisante.

Vagabonde_
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le 16 janv. 2017

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