Œuvre centrale de sa trilogie sur l’entre-deux guerres, Couleurs de l’incendie confirme la maîtrise de Pierre Lemaitre en terme de fiction. Loin de l’histoire de revanche de son précédent opus, il s’agit ici d’une triple vengeance aux accents dumasiens. Ancrée dans un Paris des années 30, le roman se nourrit des faits de l’époque, entre révolution industrielle, krach boursier, fascisme, nazisme contrebalancés par un féminisme à fleur de peau.


Couleurs de l’incendie dresse un portrait peu flatteur de cette Europe encore chaude des braises de la Der des Ders. Pourtant, le feu couve, et l’incendie qui se prépare sera d’autant plus dévastateur que la haine accumulée durant des années servira de combustible à l’embrasement. C’est dans ce creuset que Madeleine Péricourt va procéder à sa transmutation. Précipitée dans une chute qui va briser les fondements même de sa personnalité, elle va devoir se reconstruire à travers la vengeance. Forte et se révélant à elle même au fil des pages, elle est à l’image des autres personnages féminins : tournée vers les autres et réduite à ce rôle décoratif comme l’étaient les femmes de l’époque dans une société dressée à la gloire du mâle dominant et entrepreneur. Mais le portrait est pluriel, car ces femmes sont multiples mais toutes unies dans leur courage. Comme cette cantatrice exubérante offrant un ultime soufflet à un troisième Reich en devenir. Pour les seconder dans ce rééquilibrage sociétal, quelques hommes demeurent. Comme elles, ils ne cherchent non pas la valorisation de l’ego et du portefeuille par le prisme du pouvoir et de l’argent mais bien un réconfort humain, une tendresse que ce début de XXème siècle commence à vouloir murer derrière un individualisme de confort.


Cerbère de la vengeance, le trio d’hommes responsable de la chute de Madeleine, autant que de sa renaissance, centralise les pouvoirs de l’époque : le politique, le journaliste et l’industriel. La méthode appliquée par Madeleine pour broyer ces individus est implacable. Froide et déterminée, elle ne doutera à aucun moment de la juste entreprise de sa croisade. Pour un fils brisé et une famille disloquée. Mécanique aux rouages parfaitement huilés, la vengeance de Madeleine pulvérise ses anciens bourreaux en les broyant dans des engrenages qu’ils ont eux-même forgés. On tient là peut-être un des écueils de Pierre Lemaitre, le manque de confrontation. Le plan de Madeleine se déroulant tellement sans accrocs qu’un manque de tension s’installe, transformant par moment cette vengeance en petite promenade printanière ou en épisode de l’Agence tout risque.


Le roman déroule page après page un style maîtrisé et alerte. Sans emphase et ponctuée de dialogues dynamiques, la lecture se permet quelques trouvailles réjouissantes qui renouvellent régulièrement la fraîcheur. Œuvre riche et documentée, Couleurs de l’incendie sait flirter avec les fragrances de l’Histoire et sait s’inspirer des personnages qui l’ont écrite. Les dernières pages du roman résume assez bien le travail de substitution et de composition élaboré par Pierre Lemaitre. Porté par une galerie de personnages solides et nuancés, le livre ne tombe jamais dans la facilité d’écriture. D’apparence simple, la structure du livre est un modèle de fluidité qui arrive à jongler avec une vingtaine de personnages sans voir échouer l’attention du lecteur. Par moment, dans cette grande fresque d’époque, le lecteur attentif découvre des saveurs qui l’entraînent vers l’œuvre d’Alexandre Dumas. Au détour d’une page, on se surprend parfois à imaginer que pour l’amour d’un fils, Madeleine Péricourt est un Edmond Dantès au féminin.

Alyson_Jensen
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Moi aussi je veux perdre des abonnés alors je fais une liste de mes lectures en 2018.

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le 4 mai 2018

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Alyson Jensen

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