"Dolores Claiborne" est un bouquin plaisant. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit, après cette lecture. Stephen King explore un peu plus ses domaines de compétence avec ce roman qui se livre sous la forme d'un monologue de 300 cents pages, rythmé comme jamais par la voix nue, usée et si maîtrisée qui le récite. Cette voix, c'est celle de Dolores Claiborne, autrefois Dolores Saint-George. Une femme accusée du meurtre de la garce chez qui elle a fait le ménage, toute sa vie. Une garce qui lui ressemble? Ce sera à vous de juger. Mais Dolores ne passe pas par quatre chemins, et dès les premières pages, elle annoncera la couleur: elle n'a pas tué Vera Donovan. En revanche elle a bien tué son fumier de mari, 30 ans auparavant.
Et c'est ainsi, qu'usant de l'argot si vivant et réaliste de Dolores, l'histoire se scindera pour mieux se réunir à la fin: la mort de Joe Saint-George et la mort de Vera Donovan. Et évidemment, tout ce qui gravite autour.


J'ai pris un verre d'eau, et j'ai découvert que j'en supportais pas l'odeur - une odeur de pièces jaunes que quelqu'un aurait gardées toute la journée dans son poing en sueur.



C'est évidemment le premier point sur lequel je souhaiterais revenir: la narration si particulière de ce livre. Dolores Claiborne livre ici ses confessions, puisqu'elle est au moment du récit dans une salle d'interrogatoire. Sauf qu'évidemment, ce ne sont pas de simples confessions: c'est pour ainsi dire le récit de sa vie que nous lisons.
Le timbre et le vocabulaire si particulier de Dolores Claiborne jouent énormément dans la réussite du roman. Nous savions King doué pour créer et ancrer sans difficulté n'importe quel personnage. Le challenge était un peu différent des autres fois: comment installer un personnage, sans lasser ou écoeurer le lecteur, alors qu'on ne dispose que d'un long monologue? Eh bien, comme à son habitude, Stephen King prend son temps. Nous nous habituons à la voix de cette vieille femme, sa façon de traduire le quotidien avec des expressions complètement farfelues et qui toujours, tapent dans le mille. Nous la laissons, petit à petit, s'étendre jusqu'à devenir cette voix qu'on a l'impression d'avoir écouté toute notre vie.
Ce qu'a fait King est un tour de force. Le personnage de Dolores Claiborne, complètement indissociable de sa narration, est une réussite absolue. Et le bouquin devient donc une véritable expérience littéraire. Ce qui est magnifique, et je rejoins le début de ma critique, c'est que cela demeure facile à vivre/lire. King est vraiment, vraiment très doué.
N'allons pas croire, également, que sur 300 pages, Dolores s'essouffle. Au contraire, le discours gagne en rythme et en intensité assez vite. Et j'y reviendrai plus tard, on devient très vite passionné par le récit.


D'éclipse et de féminisme



Lorsque j'avais lu "Cujo" et découvert certaines de ses critiques, on avait relevé le caractère "féministe" de l'œuvre. J'étais plutôt d'accord, dans une certaine mesure. On se concentrait sur les couples, leur structure et leur déconstruction, puis enfin leur dépassement par le personnage féminin, salvateur ou en tous cas décisif dans les deux cas.
"Cujo" n'avait pourtant pas la mesure féministe de "Dolores Claiborne". Et vous pouvez me croire: je déteste tamponner toutes les œuvres de "féministe", "militantiste" ou je ne sais quoi d'autre à la moindre évocation de la femme. Je déteste coller à tort et à travers des causes à défendre sur des œuvres parfois lointaines de tout plaidoyer. A propos du féminisme, on est quand même très forts: j'ai parfois l'impression que la seule évocation d'une femme forte suffit à étiqueter "féministe". Absurdité sans nom, c'en devient presque une démarche anti-féministe. Enfin, voilà: "Dolores Claiborne" me semble tout à fait relever d'une véritable démarche féministe.
Les thèmes abordés: les violences conjugales et autres conjugopathies dramatiques, la difficulté à s'assumer à l'époque en tant que femme forte, la difficulté d'être une mère, l'inceste... Tout tend à explorer et décrire une situation toute particulière: les difficultés qu'ont pu rencontrer les femmes comme Dolores, à cette époque, dans cette société. Et King n'y va pas de main morte, et surtout il ne rabaisse à aucun moment le récit ou son personnage. Dolores est une femme forte, qui aura mené sa vie à sa guise. C'est un personnage intelligent pour un récit intelligent.
On reprochera simplement à King le peu de nuances qu'il accorde aux personnages masculins dans ce roman. Les seules figures masculines auxquelles nous aurons droit sont abjectes. Si la comparaison avec la justesse et le courage de Dolores n'en est que plus évidente, on se retrouve quand même dans une situation que l'on sait, un peu éloignée dans la réalité. Bon, rien de dramatique non plus.
La véritable force du roman est l'adhésion du lecteur au récit de Dolores. Et c'est extrêmement bien ficelé: on commence par se dire que c'est une garce (elle le dit elle-même) et petit à petit, on la comprend et on se met bien vite de son côté. On justifie l'injustifiable, on accepte et on donne raison à ce que Dolores a commis. Probablement parce qu'elle avait raison de le faire même si elle n'avait pas le droit de le faire, probablement parce qu'elle est victime avant d'être coupable. Ca fait réfléchir à pas mal de chose, ce roman. Vraiment, ça vaut le coup.


On notera la petite référence à un autre roman de Stephen King, lui aussi composant de la "trilogie féministe". Je vous laisserai le plaisir de la découverte.


En conclusion, j'aimerais vous dire à quel point King est un écrivain de génie. Il le prouve une fois de plus, avec ce roman atypique, extrêmement intelligent et fort d'une héroïne passionnante. Facile à lire, riche en questionnement, régal à la lecture, thèmes difficiles... "Dolores Claiborne" est un tour de force.

Wazlib
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le 20 mai 2017

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