Dracula
7.7
Dracula

livre de Bram Stoker (1897)

Dracula ou quand l'imaginaire collectif fait le travail de l'auteur

L'histoire que je vais vous raconter est l'histoire du néant, de l'imposture, d'un mythe qui s'effondre durant près de 680 pages (qui osera dire que je suis autant soporifique dans ma critique trop longue ?).


Petit topo
Jonathan Harker, notaire, va rencontrer son client le comte Dracula en Transylvannie qui souhaite acquérir une demeure à Londres. Très vite des faits étranges se produisent et le comportement du Comte n'est pas pour le rassurer, il tente donc de quitter ce château angoissant.
En parallèle sa meuf, Mina, toujours en Angleterre se fait du souci, elle n'a pas de nouvelles de son fiancé et son amie souffre d'un mal étrange. Cette amie, Lucy va donc se faire aider de trois prétendants qui auront recours au professeur Van Helsing pour déterminer d'où vient cette pâleur qui la gagne un peu + chaque jour... TIN-NIN-NIN-NIN (croyez-moi j'ai rendu ça + palpitant que la manière dont c'est amené dans le livre).


Les personnages n’ont aucun relief


• Les hommes : Harker & Seward se confondent dans un rôle légèrement plus important au niveau de la contribution à l’histoire tout comme Arthur et Quincey se confondent dans leurs rôles mineurs. On peut les enlever, oublier qui est censé parler ça n’a pas grande importance. Les deux premiers sont là pour leur expertise ou expérience qui vont faire avancer (à deux à l’heure) les choses, les deux derniers sont là comme main d’œuvre pour mener leur grand dessein histoire de donner l’impression que la tâche est d’une grande ampleur.
En soi ces descriptions ne sont pas dérangeantes, c’est leur rôle. Sauf qu’ils se cantonnent très spécifiquement à ces rôles. À AUCUN moment ils n’en sortiront. Et c’est ce manque de personnalité qui empêche de démêler proprement qui et qui quand il en est fait mention.


• Van Helsing : Le vieux professeur imbu de lui-même qui se complait tout du long dans la rétention d’informations. Soi-disant le temps de clarifier les choses mais il semble pourtant avoir déjà compris le plus gros de la situation dès le départ. Du coup ça paraît + comme une tentative de merde de lui donner de l’importance et le rendre indispensable pour asseoir son autorité : le savoir c’est le pouvoir. Mais dans un but parfaitement égoïste en l’occurrence parce que chacun de ses silences aura des conséquences néfastes, pitoyable astuce pour tenter de donner du rythme ou des surprises (mais ça tombe à l’eau). D'ailleurs il a aucun besoin d'avoir du pouvoir sur ses "collègues" puisque ce sont de jeunes brebis tellement sans personnalité qu'elles attendent juste d'être guidées.


• Les femmes : Niveau fadeur Mina et Lucy égalent les hommes et sont aussi interchangeables. On pourrait parler de machisme dans la plume de Stoker mais en fait il semble tellement étroit d’esprit que je n’arriverais même pas à le blâmer. Je ne pense pas qu’il soit capable de penser par lui-même pour remettre en question l’idée qu’il a de la femme.
Du coup Mina & Lucy = même combat. Leur utilité ? Les proies fragiles et vulnérables que les courageux hommes vont se charger de défendre. C’est à elles que Dracula s’en prendra de manière plus directe (sexe faible oblige). Leur personnalité identique (si on peut appeler ça de la personnalité) va dans l’idée de femmes parfaites dans leur superficialité : douces, gentilles, généreuses, qui s’occupent bien des hommes et sont là pour réconforter, suffisamment intelligente pour que ça vaille la surprise de Van Helsing à chaque fois que l’une sort un embryon d’idée pas conne (comme penser à regarder les horaires des trains), à chaque coup j’ai cru qu’il allait jouir « elle a le cerveau entrainé comme celui d’un homme », tsss.
En gros des mères Thérésa pour accentuer à mort leur statut de victimes innocentes et servir de faire-valoir aux hommes (à plusieurs reprises le combat qui s’annonce comme Dracula est spécifié comme étant trop demander à encaisser à une simple femme qui se sentira mieux dans sa cuisine, je caricature même pas).
D’ailleurs elles sont tellement parfaites qu’ils sont tous amoureux de Lucy (sauf le mari de Mina qui n’aura pas l’occasion de la croiser dans le bouquin) puis Mina comme une mère (toujours cette image immaculée). Oui parce que les 4 hommes chiants comme la pluie fallait trouver une excuse pour qu’ils se mettent corps et âmes dans une « quête » qui ne les touchent pas directement… Du coup t’en mets 3 sur la même meuf, l’un se marie avec et les deux autres se font refouler avec le sourire sans rancœur ni jalousie parce qu’elle est tellement généreuse, belle, gentille et pure tu comprends. Du coup ils restent dans les parages du mari et viennent aider sans amertume ni questionnement intérieur quand elle est touchée par un mal qui aura sa peau. Une simple dévotion pathétique qui les fait rappliquer.
Encore de vieux stratagèmes aux fils apparents et grossiers.


• Dracula : Parlons-en ! Ah… Bah merde y a rien à en dire. Bah oui, on suit principalement les 7 protagonistes ci-dessus et je vous ai dit combien ils étaient vides, alors pensez donc d’un être qu’on ne suit que de loin, on touche le vide intersidéral là !
Quid de son histoire ? Que dalle, retiens juste que c’est un méchant avec des pouvoirs d’outre-tombe qui vient de Transylvannie (on se contentera de l’exotisme du nom de la provenance pour le côté austère et mystérieux). Parce qu’à part la mention répétée qu’en d’autres temps il a repoussé les Turcs t’en saura pas +.
Un jour il veut venir en Angleterre et c’est aujourd’hui qu’il essaye (et tu verras comme il échouera comme une merde c’en est affligeant). Les 3 fantômes/vampires dans son château ? Petit ajout intéressant et flippant mais qui ne restera qu’un petit ajout intéressant et flippant, elles seront détruites et t’en sauras pas + là non plus.
Voilà c’est strictement tout.


La structure du récit est confuse et assommante


• Volonté de réalisme : L’histoire on la suit au travers de journaux que tiennent principalement Mina et son mari Jonathan, le docteur Seward et des télégrammes par-ci par-là. La volonté est clairement accentuée sur le fait que ce sont de réels documents, c’est comme si t’ouvrais leurs journaux (ou écoutait le phonographe du docteur). Du coup ça essaye un max de justifier le fait que les discussions relatées soient aussi longues en glissant des phrases du style « Si je veux progresser il m’a conseillé de beaucoup écrire, je vais m’entraîner donc dans ce journal » « pour garder bonne mémoire de tous mes patients je vais absolument tout noter » « Si je m’entraîne à taper je serai d’une plus grande utilité pour mon mari, puis on m’a conseillé de bien retenir les mots essentiels dans les conversations c’est pour ça que je peux les retranscrire avec exactitudes mêmes plusieurs tirades de suite de 2h ». Parce que oui, ça te balance ce genre de choses grossièrement pour justifier l’injustifiable. Parce que lorsque le professeur Van Helsing s’exprime ce sont des monologues soporifiques et tu t’attendrais (si c’était vraiment réaliste) à en avoir l’essence retranscrite, probablement raccourcie et avec une tournure pas aussi recherchée hormis dans des passages clés qui peuvent marquer. Les autres osef, quand t’as à les citer c’est pour des questions posées au papy (monsieur je-sais-tout qui s’adresse à ses débilos d’élèves, c’est lui qui parle, eux n’ont qu’à écouter et exécuter).
Bref il aurait fallu la jouer jusque au bout dans l’idée de réalisme, encore une fois ça fait pitié.
• Confusion qui s’accentue entre les perso : c’est là qu’on se rend compte du manque de profondeur des personnages. T’en viens parfois à oublier de qui c’est censé être le journal du coup tu te rattaches à des indices. Si le féminin va apparaître lors d’un accord pour Mina, pour la différencier de Lucy tu vas tenter de voir si elle parle de Jonathan ou Arthur (si tant est que t’arrives à distinguer ces deux-là). Ensuite si l’un fait mention d’un patient fou (qui n’aura au final aucune utilité, là encore je me demande pourquoi avoir introduit un tel potentiel scénaristique pour le laisser inutilisé) ou s’il pense à Mina et s’inquiète.
Le cœur reste TROP « on doit faire quelque chose » du coup ça ne fait que parler de faire attention et de penser à quoi faire, tous font face de la même manière, aucune surprise.
Et c’est louuuuuurd.
• Un découpage non proportionné. Dans les débuts on suit Arthur (en écrivant je viens de me rappeler qu’en fait c’est Jonathan, CQFD) en Transylvannie chez le comte (c’est chiant mais c’est la partie qui l’est sans doute le moins). Ça dure quelques pages, tout le récit ensuite se passe à Londres où il ne se passe rien (j’y reviendrai ensuite) pour finir en Transylvannie là encore sur quelques pages. Au final le gros de l’action se passe dans les quelques pages du début et de fin, le reste est tiré en longueur pour que d’chie. Comme Stoker n’aurait pas été capable de développer le début ou la fin en gardant de l’intérêt, il aurait pu au moins raccourcir tout le « milieu ».


Une histoire sans histoire


Arrivé là on se dit que j’ai peut-être été déçue mais que ça reste des aspects mineurs. Après tout on parle de Dracula, THE Dracula qu’a mis en valeur les vampires, qui a instauré cette image quasi-mythique, fantasmée. Moteur de tant d’œuvres par la suite. L’essence même c’est Dracula et son histoire, et c’est sans doute pour ça que d’autres comme moi sont intéressés par enfin savoir ce qui se passe réellement dans ce bouquin sacré !!!!!!!.... Et là je dis, encore déception et certainement la plus grosse (qui fait écho à mon topo sur le garçon dans les personnages).
• La grosse tête d’un auteur : Comme pour Frankenstein (qui bien qu’un peu lent et pas forcément mon genre n’était rien comparé à la bouse-Dracula) l’imaginaire collectif a surpassé l’histoire de départ. C’est pour ça que tout le monde pense que Frankenstein c’est le nom de cet homme composé à partir de cadavres et que tout le monde penserait que dans Dracula on s’intéresserait réellement à la nature de Dracula et ses plans terrifiants d’intelligence. Mais non, là où les auteurs ont insisté sur les créateurs/penseurs de ces bêtes, les gens lambdas auraient aimé à connaître LA bête. Je me demande si ce n’est pas une sorte de mégalomanie d’auteur qui tend à favoriser l’importance du créateur plutôt que de l’œuvre (Victor Frankenstein dans Frankenstein même si on a une petite partie qui apporte + de proximité avec la bête ça reste moindre ; Van Helsing dans Dracula qui sans être le créateur a ce statut d’homme de pouvoir et connaissances sur Dracula comme si c’était lui qui l’avait créé et donc saurait comment s’y prendre avec, il a clairement un rôle paternel à l’égard de tout le monde et il dit que Dracula a une mentalité d’enfant). Je viens d’y penser là comme ça et je viens de m’auto-convaincre tellement maintenant ça me paraît évident.
• Le néant : En tout cas, pour en revenir au bouquin c’est ce qui se passe. Dracula on ne t’en parle que partiellement, on y est rarement confronté et on s’intéresse + à quoi faire plutôt qu’à qui on a affaire. Tout du long c’est + une démonstration de la patience et du courage des hommes qui s’attellent à la tâche et des bons sentiments de chacun (au final ils brassent du vent, je saurais pas dire ce qu’ils font pendant ces 680 pages concrètement). Je saurais même pas quoi en dire de + parce que les pouvoirs de Dracula sont juste mentionnés au passage et ne font pas l’objet d’une étude scrupuleuse qui pourrait trouver un sens dans des légendes ou n’importe quelle histoire un peu ésotérique/mystique ou relative à son passé d’être humain. Sans compter qu’en plus ces pouvoirs sont moins une découverte suite à des évènements, que l’information donnée par Van Helsing le jour où il se décide à dire ce qu’il sait. Y a pas ce côté de crainte, on sait que tout est sous contrôle le vieux sait déjà tout avant de venir, il le dira texto qu’en l’envie lui en prendra et on s’appesantira pas là-dessus.
Les ¾ du livre il ne se passe rien, y a REELLEMENT RIEN à en dire.
• Final : gros happy-ending avec une mort insipide pour faire genre qu’ils ont perdu quelqu’un (mort tué comme une merde par des Tziganes, même pas le comte). De toute façon vous saurez même plus exactement lequel des personnages c’est.


Donc à la poubelle les envies de surprise et d’effroi, de curiosité sur les origines du mal, d’attrait pour un tableau fourni sur le personnage.
Dracula se réveille un jour, il débarque en Angleterre, ses non-plans sont mis à l’eau (comprenez juste son installation dans ce pays), il repart, il se fait tuer en deux en trois mouvement avant d’atteindre son château, fin de l’histoire.
Impressionnés ? Moi non, Dracula est une petite bite incapable de juste poser son cercueil tranquille à Londres et Van Helsing un vieux crouton qui prend plaisir à se faire sucer par des personnes tellement ignares et vides qu'il réussi à en prendre le dessus et s'en sent + important.


Je vais jusqu'à 4 par respect (ouais on dirait pas là comme ça) et sans doute un vague sentiment d'obligation vu la moyenne exorbitante.

Samskeyti
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le 4 janv. 2016

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