Dès les premières pages, on est happé par une gouaille sympathique, la prose verbeuse mais personnelle d'un surineur avec plus de profondeur d'âme qu'il ne souhaiterait en avoir et en montrer. C'est que Gesufal Benvenuto en a gros sur la patate, et si l'on veut bien l'écouter, il va vider son sac.
Et ça marche extrêmement bien. Si je pense que Jean-Philippe Jaworski passe à un cheveu du chef d'oeuvre, ce n'est clairement pas à cause d'une faiblesse d'écriture (c'est un plaisir que de s'enfoncer dans les descriptions à rallonge du protagoniste, de suivre ses états d'âme sur un boulot particulièrement moche), mais à cause d'une faiblesse scénaristique. Si j'aime l'idée que le bouquin ne suive pas une trame narrative classique et souhaite se jouer des attentes du lecteur, il n'empêche que la structure formelle de l'histoire joue un rôle dans l'appréciation de l'histoire narrée. Cela dit, ça ne m'a pas empêché de dévorer les 900+ pages du livre.
Ca s'explique selon 2 éléments selon moi: un (anti)héros extrêmement chafouin et agréable à suivre d'un côté, et de l'autre, un monde à la mythologie poétique et omniprésente. On sent que Jean-Philippe Jaworski aime construire des mondes avec des règles, des légendes, des histoires qui viennent s'entremêler, parfois pour le pur plaisir de le faire, avec les agissements des personnages de du livre. On est pas loin de Tolkien dans cet aspect.
Avec tout de même un bémol (à mon sens) sur l'utilisation de la mythologie comparée à celle qu'en fait Tolkien dans le Seigneur des anneaux. Jaworski montre l'étendue du folklore qui imprègne son monde au travers de personnages, de parenthèses narratives, auxquels le protagoniste est confronté, mais je n'ai pas ressenti la force tellurique et sous-jacente que l'on retrouve chez Tolkien. Certes, l'approche un peu déterministe du Seigneur des Anneaux a ses désavantages (pas d'autres solutions pour sauver la Terre du milieu, c'est plus ou moins quelque chose de "fixe"), mais on sent les forces en mouvement depuis des millénaires et la manière dont celles-ci viennent contraindre et guider le porteur de l'anneau. Dans Gagner la guerre, ces éléments restent anecdotiques au maximum. Donc on se dit que l'histoire qui nous est racontée est intéressante, passionnante certes, mais pas "importante". Ce qui ne m'embêterait pas si ces parenthèses mythologiques ne prenaient pas autant de place dans le livre.
Sur la question de l'arc narratif, c'est évidemment subjectif, mais je n'arrive pas à me dire que le choix de Jean-Philippe Jaworski n'est pas une forme de non-choix. On reste plus ou moins sur une nature épisodique des aventures de Gesufal Benvenuto (même si tout est lié), sans qu'on sache très bien pourquoi la fin est à la fin du bouquin. Petit aparté: j'aime beaucoup l'idée de ne jamais finir les sagas : livres, séries... Mais ça ne marche que si je sens que j'arrive à la fin d'un récit, que je ne peux pas échapper au destin des personnages que j'ai suivi depuis des dizaines d'heures. Mais ici, je n'ai jamais ressenti ça, je reste sur ma faim et j'ai besoin d'un sentiment de fin ou de continuation (si Gagner la guerre 2 sort un jour, c'est même pas la peine d'essayer de me parler avant que je l'ai fini).
Si la plupart du bouquin est une botte d'escrime magnifique qui passe sous votre garde pour alterner entre coup d'estoc et de taille, l'arc global narratif reste un coup d'épée dans l'eau en ce qui me concerne. Mais ce livre reste un immanquable pour tout amateur de fantasy.