Sans doute n’est-il pas facile de traduire toute la profondeur intime vécue sur le Chemin de Compostelle et, en outre, quel que soit le génie du narrateur il est impossible que ses confidences puissent contenter tout un chacun.
Il y aura bientôt vingt ans, membre d’un comité de lecture d’une médiathèque en milieu hospitalier, le non-croyant que je suis avait lu “Passants de Compostelle” de Jean-Claude Bourlès (édité chez Payot en janvier 1999 et réédité au format poche en mars 2016). Parmi d’autres, j’avais choisi ce livre espérant combler quelque ignorance dans ce domaine. Je ne me souviens plus des détails mais je ne fus pas déçu. Je découvris que le but du pèlerinage n’est pas Saint-Jacques, mais le Chemin lui-même, et que suivant son besoin, chacun trouve (généralement) ce qu’il cherche sur le Chemin et apparemment se trouve lui-même. Devant mon enthousiasme, une responsable de la médiathèque, catholique pratiquante, a lu le livre après moi et a été très déçue : elle n’y cherchait pas la même chose que moi.
Il me semble, en lisant le livre de Jean-Christophe Rufin et les quelques critiques glanées çà et là, qu’on le parcourt comme on parcourt le Chemin : chacun y trouve (ou n’y trouve pas) ce qu’il y cherche, encore faut-il être prêt à accueillir quelque chose.


Jean-Christophe Rufin, né en 1952 à Bourges, est médecin, écrivain et diplomate français. Il a été élu en 2008 à l'Académie française, dont il devient alors le plus jeune membre. Il a été ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie.
Il participe activement à des mouvements humanitaires ou associations tels que Médecins sans frontières, la Croix-Rouge française ou Action contre la faim
Il obtient en 1997 le Prix Goncourt du premier roman, pour son roman L'Abyssin. Le Prix Interallié en 1999, pour son roman Les Causes perdues. En 2001, le Prix Goncourt et le Grand prix de l'Académie de marine, pour son roman Rouge Brésil. Le Prix Nomad en 2013, pour le récit Immortelle Randonnée : Compostelle malgré moi et le Prix Grand Témoin 2015, pour son roman Check-point.
Bien que je m’en défende, j’espérais retrouver dans le livre de J-C. Rufin la quête spirituelle découverte et provoquée par le Chemin parcouru par J-C. Bourlès.


Alors que n’ayant rédigé aucun journal « Je n’ai pris aucune note pendant mon voyage et j’étais même agacé de voir certains pèlerins, aux étapes, distraire de précieux instants de contemplation pour griffonner sur leur carnet », notre académicien dresse, au jour le jour, de mémoire, pendant toute la première moitié de son livre (et au-delà) un véritable “carnet de route” très (trop ?) détaillé. Où rien ne manque, ni les ampoules aux pieds, ni les chaussettes qui puent, ni la crasse qui s’accumule, ni les envies pressantes soulagées derrière un buisson d’un jardin public… Comme beaucoup, sans doute, je me suis demandé si cette narration plate et de peu d’intérêt allait continuer jusqu’à la fin du livre… C’est à ce moment-là que j’ai fait quelques recherches d’avis pour me redonner de l’espoir… et je suis tombé, entre autres, dans un blog, sur un long article destructeur, humoristique, mais d’un humour très grinçant qui correspondait assez bien à mon état d’esprit du moment.
Puis, J-C. Rufin atteignit alors les confins de la Cantabrie, province qu’il n’a pas aimée du tout. En fait, parti d’Hendaye et émerveillé par le tracé du Chemin au Pays basque et par ses paysages, il est en train de se transformer, lentement, en véritable pèlerin : « Je comprenais combien il était utile de tout perdre, pour retrouver l’essentiel. » Ou encore : « La Cantabrie enseigne la frugalité et contraint le marcheur à mieux user de ses sens pour découvrir à la surface d’une réalité sans grâce des risées de bonheur, des fleurs de bonté inattendues. » Il n’a pas encore atteint le détachement qui le protègera de nombreux désagréments « Le marcheur est placé en Cantabrie au cœur d’un dilemme : soit il dispose à profusion de silence et de solitude, mais c’est pour traverser des paysages sans grâce et longer des autoroutes monotones. Soit il a devant lui des merveilles d’architecture, mais il les aperçoit à peine, perdu au milieu d’une humanité bruyante chez qui le camescope a remplacé l’œil et l’autobus les jambes ».
C’est en quittant la Cantabrie pour les Asturies qu’il ressentit l’appel du spirituel, touché de plus en plus par le détachement et le dénuement du Chemin et visitant chaque édifice religieux placé sur sa route, assistant aux offices, le soir… « La foi apparaît comme une alternative à la régression animale qui menace si concrètement. Être homme, ce serait connaître Dieu ou, à tout le moins, le chercher ». Ainsi va le pèlerin dans sa méditation solitaire à la recherche de SA vérité. À la recherche de SA solution « Je commençais à percevoir en moi la présence d’un délicieux compagnon : le vide. […] J’étais un être nouveau, allégé de sa mémoire, de ses désirs et de ses ambitions. »
Enfin voici la Galice ! L’heureuse province qui recèle Saint-Jacques le terme du voyage mais où « la présence du saint Apôtre dans ces extrémités ibériques est littéralement incompréhensible. En d’autres termes, il n’a rien à faire là. Il a fallu inventer une histoire assez rocambolesque […] pour rendre compte du fait que les ossements d’un homme mort à Jérusalem puissent avoir été découverts huit siècles plus tard à trois mille kilomètres de là. » Peu importe, la Galice accueillit le pèlerin métamorphosé dans un décor magnifique de verdure, de douceur et de pureté « et là, dans ces splendeurs, le Chemin m’a confié son secret. […] Compostelle n’est pas un pèlerinage chrétien mais bien plus, ou bien moins selon la manière dont on accueille cette révélation. Il n’appartient en propre à aucun culte et, à vrai dire, on peut y mettre tout ce qu’on y souhaite. […] Il met le moi en résonnance avec la nature. » Le pèlerinage se termine et comme pour Jean-Claude Bourlès, notre académicien aura fait l’expérience de sa longue méditation sur près de mille kilomètres de marche et de confrontation avec lui-même.
Il lui aura fallu plusieurs centaines de kilomètres de souffrances et de renonciations pour se débarrasser petit à petit de tout ce qui le reliait à la ses préoccupations antérieures et dans sa relation, parfois poétique, J-C. Rufin sait traduire avec précision et talent sa lente évolution vers le détachement spirituel maximal qui dévoile toute la force du Chemin : « Le Chemin réenchante le monde. Libre à chacun, ensuite, dans cette réalité saturée de sacré, d’enfermer sa spiritualité retrouvée dans telle religion, dans telle autre ou dans aucune. »

Philou33
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 27 août 2018

Critique lue 127 fois

Philou33

Écrit par

Critique lue 127 fois

D'autres avis sur Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi

Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi
dodie
10

Critique de Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi par dodie

Je connaissais J.C. Rufin médecin, écrivain, ambassadeur. J'ignorais que c'était un amoureux de la marche à pied surtout en haute montagne. Voulant se retrouver physiquement et psychologiquement...

le 6 juin 2013

6 j'aime

Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi
BibliOrnitho
5

Critique de Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi par BibliOrnitho

L’auteur de l’Abyssin est dans le train en direction d’Hendaye. Un gros sac à dos et de bonnes chaussures l’accompagnent. Il part se dégourdir les jambes : le chemin de Saint-Jacques sera son chemin...

le 19 août 2013

3 j'aime

Du même critique

L'Anomalie
Philou33
7

À lire sans tarder… et pour cause !

… Car je ne pense pas trahir un quelconque suspense en soulignant que l’action de "L’Anomalie" se déroule en juin 2021 (Cf. quatrième de couverture) et donc tout ce qui n’est pas advenu peut encore...

le 13 déc. 2020

17 j'aime

5

Les Choses humaines
Philou33
4

OUI pour le fond ! NON pour la forme !

C’est générationnel (Je suis un VIEUX C…). Je n’aime pas les histoires de cul ! Je n’aime pas les histoires où on « fait l’amour » comme d’autres font des cauchemars. Mais, à en croire l’auteure,...

le 13 nov. 2019

14 j'aime

11

Le Bug humain
Philou33
10

L’Homme : ennemi mortel pour l’homme

ATTENTION, ceci n’est pas une "Critique". D’ailleurs je ne m’octroie pas le droit d’émettre des critiques, tout juste des commentaires. Ici, ce serait plutôt un billet d’humeur. Dans ce cercle...

le 20 mars 2020

11 j'aime

5