Plus qu’une critique, ceci est un ressenti pur.

Janua vera m’a emporté comme un torrent et… Non, je l’ai entamé par une nuit étoilée… Non plus. Bah, qui tromperai-je de toute façon ? Jean-Philippe Jaworski écrit comme j’aimerais écrire, tout pile, exactement, mais comme je ne pourrai jamais le faire. Et en plus, il écrit ce que j’aimerais écrire, de la fantasy subtile, presque impressionniste parfois, aux oppositions complexes mettant en scène tantôt des héros et (surtout) des anti-héros, tantôt des petites gens.

De façon générale, j’adore les nouvelles, précisément parce que j’adore découvrir un arc de destinée, plus ou moins banal selon les circonstances, qui me suffira à envisager une existence plus longue et pleine, là où la forme du roman tend à rendre nécessaire de raconter un arc beaucoup plus exceptionnel (je me rends compte en écrivant cette espèce de définition estropiée qu’il n’y a aucun mystère au fait que mes romans préférés soient Cent ans de solitude et Voyage au bout de la nuit). Et j’adore ce recueil-ci qui tisse les liens entre ses personnages, entre ses époques, entre ses lieux d’une nouvelle à l’autre par petites touches, en n’effleurant qu’à peine l’entrelacs mis au jour. Il ne me manque qu’une carte pour rendre toute cette géographie vraiment claire dans mon esprit et une chronologie dont j’ai lu (il y a moins d’une heure) qu’elle se trouvait dans la réédition des Moutons électriques, en plus de nouvelles inédites (il faudra donc que je déniche cette version en bibliothèque).

Jaworski, c’est une forme de sagesse générale de senscritique qui me l’a conseillé (et je vais être obligé de rejoindre toutes ces petites voix insidieuses, je ne vais vraiment pas pouvoir rester en retrait), mais j’avais décidé de ne pas entrer dans les détails, de ne pas savoir ce qui était bien chez lui. Je savais juste qu’a priori c’était bien (a posteriori, il se trouve que c’est presque parfait). Et je suis donc un peu surpris-mais-pas-trop en constatant que mes goûts correspondent, en gros, avec l’avis général.

« Le conte de Suzelle » est superbe et décroche les honneurs de la meilleure nouvelle du recueil. C’est la seule que j’ai lue d’une seule traite, sans m’arrêter même dix minutes. Je ne vais pas tenter de la décrire, j’aurais trop peur de trahir sa simplicité complexe en avançant trop platement ce qui m’y a plu. Toujours est-il que ce véritable conte est un bijou.

« Un amour dévorant », par une certaine ouverture de son propos et un angle plus fantastique que fantasy, m’a tenu en haleine et conquis. L’humour de « Jour de guigne » ne s’est pas révélé seulement rafraîchissant, alors qu’à part Pratchett la fantasy se prend souvent bien trop au sérieux, il est aussi parfaitement amené et emmené. Au-delà de ce trio de tête, si toutefois je peux dégager un trio de tête au milieu du lac d’excellence qu’est Janua vera, le personnage de don Benvenuto m’a enchanté et j’ai hâte de me replonger à ses côtés dans Gagner la guerre.

Mon bémol ira à la nouvelle « Le Confident », qui clôt le recueil de manière trop molle à mon goût et qui, je trouve, éveille moins d’intérêt que le reste. La nouvelle éponyme qui ouvre l’œuvre, « Janua vera », ne m’a déçu que par une fin trop évidente – mais presque abrupte par rapport à tout ce que l’histoire avait éveillé en moi et qui a rarement trouvé réponse par la suite.

Sur ce, allons gagner cette guerre.

(Quant au titre de cette critique, je n'avais pas de meilleurs mots.)
Jeolen
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le 20 déc. 2014

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