Cher Jean, permets-moi de te tutoyer. Oui, car je sais que tu me lis de là-haut. Je prends cette liberté car il faut bien le dire ; en parcourant ce livre j'ai traversé ta vie. D'aucuns vont sans doute être choqués par mon impertinence, cette familiarité incongrue. Je tends l'autre joue.
Tes amours, tes doutes, tes réussites… Plus les pages passent, plus je deviens ton confident.
Tu partages avec moi ta jeunesse entre l'Allemagne, le Brésil et la France. Ah quelle jeunesse ! Bien élevé, bien éduqué, découvrant une appétence pour la littérature qui t'amènera rue de l'ULM et aux plus hautes fonctions culturelles.
Tes études aux côtés de professeurs aux noms grandiloquents dont les travaux sont enseignés aujourd'hui. Quel étudiant ayant côtoyé peu ou prou les sciences humaines n'a jamais rêvé d'avoir Gaston Bachelard comme professeur.
Quand tu ne parles pas de tes études où de tes aventures rue de l'Ulm, c'est une ode à la culture qui s'ensuit. Oui Jean… le cinéma… les livres. Tout y passe. Tu représentes cet idéaltype du gentilhomme cultivé, une certaine quintessence de l'érudition.
Pour moi, candidement peut être, tu symbolises cet esprit des Lumières dont Todorov conte l'histoire dans le livre éponyme.
Et encore, tu me révèles tant de faits sur ta vie, sur la vie. Sur les illustres personnages qui ont fait notre histoire : Valery, Cassin, Aron, Mitterrand… Tu les as tous côtoyés, même Dieu.
Je voudrais d'avance que tu me pardonnes pour la faible qualité de mon écriture. Non, je n'ai pas ton talent. Et pourtant, je n'aurais jamais pensé qu'un académicien puisse avoir une plume aussi forte et banale à la fois. Les phrases semblent enfantines, simplistes et pourtant ton écriture est d'une noblesse rare.
Tu as réussi à faire de ta vie un roman, pour ensuite nous conter le roman de ta vie.
Quant à moi, contrairement à toi je ne ferai jamais l'ENS. A mon grand désarroi je ne serai jamais écrivain. A la différence d'Ulysse, je ne serai personne.
Et pourtant, je pourrai au moins relater dans quelques dizaines années, le plaisir inouï, la chance que j'ai eu de lire ton livre puis tes livres. Ah Jean d'O ! Mon pauvre Jean d'O ! Oui tu auras eu une vie belle. Tu n'auras eu de cesse de remplir ta vie de plaisirs divers. La seule chose ratée et je sais que cela te fait sourire, c'est ta mort. Tu avais prévenu. Mais après tout, n'était-ce pas le signe que tu savais déjà qu'un autre te prendrait la vedette.
Je vais m'arrêter là. Les mots me manquent pour aujourd'hui.
Alors, moi aussi, je dirai malgré tout que ta vie fut belle.