L'Ange exilé
8.2
L'Ange exilé

livre de Thomas Wolfe (1929)

“Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage…”

Look Homeward, Angel est le premier roman de Thomas Wolfe. Il s’agit d’une « autofiction élargie », dans laquelle l’auteur romance sa jeunesse (Eugene Gant est son alter ego fictionnel) et la vie de sa famille, dans la ville imaginaire d’Altamont (homologue d’Asheville, NC).


Ce roman m’a fait rappelé la préface de Cromwell : « [la muse moderne] sentira que tout dans la création n’est pas humainement beau, que le laid y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime […] ». Ce qui m’a frappé plus que tout dans Look Homeward, Angel, c’est cette coexistence constante des genres et des registres. Wolfe est certes connu d’abord pour son style très orné (on aurait envie de dire : florid) et ses passages qui virent parfois à la poésie en prose, voire à l’incantation de prophète biblique — ainsi l’exclamation O lost! qui hante le roman et qui aurait dû lui fournir son titre avant l'intervention de l'éditeur. Mais, plus que cela, il multiplie les passages de la vie quotidienne, dans leurs détails les plus triviaux, met en scène les querelles d’argent récurrentes dans une famille rongée, côté maternel, par l’avarice, et n’hésite pas à donner franchement dans le burlesque à l’occasion (on pense au passage où Ben, le grand frère protecteur, soulage son frère tourmenté par la culpabilité et une maladie inconvenante après un passage dans une maison de tolérance…). Le parallèle avec Joyce, de ce point de vue, me paraît assez heureux (pour l’anecdote, Th. Wolfe a croisé par hasard Joyce, qu’il admirait, lors d’une visite touristique de Waterloo mais sans lui parler — parallèle amusant avec la célébrissime rencontre Proust – Joyce). Look Homeward… m'a fait penser à ce drôle d'animal qu'est le pélican : à la fois burlesque à l'œil, et en même temps allégorie traditionnelle du sacrifice du Christ.


Le résultat sensible de cette alternance stylistique est une tension constante, parfois épuisante (voire exaspérante), et dont on devine qu’elle reflète assez bien l’esprit de Th. Wolfe. En dépit de ce mérite, on comprend pourquoi Look Homeward… est assez nettement passé de mode, alors que la critique contemporaine (années 30) classait Wolfe aux côtés de Faulkner ou Hemingway. Malgré les efforts d’édition majeurs d’avant publication, le livre est encore un peu enflé, paraît souvent divaguer d’anecdotes en anecdotes, en “dégorgeant” pêle-mêle des souvenirs autobiographiques passés au crible de la sensibilité hypersensible de Th. Wolfe. En outre, même si cela peut aussi faire l’attrait du livre, sa morale sonne parfois puérile ou revancharde : la « liquidation » de sa famille par Wolfe/Gant, l’éloge de “l’ingratitude” a un côté un peu adolescent (certes atténué par la tendresse des portraits). En dépit, donc, de passages remarquables et d'un talent brut certain, j'ai pris assez peu de plaisir à la lecture de ce presque classique.

Venantius
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le 16 déc. 2017

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