L'auteur décrit avec une grande subtilité le regard si particulier qu'une intelligence aiguisée porte sur le monde, un regard terriblement lucide et honnête face aux faux-semblants et à l'hypocrisie ambiante dans lesquels évoluent tant bien que mal nos deux protagonistes: Paloma et Renée.
Le personnage de Paloma me semble tout particulièrement intéressant dans la mesure où il agit tel un miroir reflétant les failles et les limites de son entourage tout en mettant en exergue les jeux de rôles que chacun semble jouer avec une certaine suffisance. Par son extrême précision, son regard objectif et ses prises de positions « dérangeantes » car empreintes d’une intransigeante vérité, elle brise les codes sociaux d’une microsociété bien-pensante et suscite hostilité, rejet et incompréhension.
Paradoxalement, les autres habitants du 7 rue de Grenelle semblent aveuglés dans leurs rôles sociaux, se mentant à eux-mêmes quant à leurs propres faiblesses qu’ils préfèrent nier en rejetant la faute sur l’esprit libre qu’incarne Paloma : une mère névrosée bourrée aux anxiolytiques et antidépresseurs se complaisant dans son mal-être et transposant sur sa fille l’existence d’un problème inexistant, une sœur présentant tous les apparats d’une élite intellectuelle et pourtant incapable de penser par elle-même tout en étant ridiculeusement dépendante du regard des autres, un père lucide et brillant mais démissionnaire et reprochant implicitement à sa fille son refus d’accepter une société imperfectible.
Tels deux aimants, Paloma et Renée se reconnaissent dans leur singularité et trouvent refuge l’une dans l’autre. Au fil de leurs rencontres, que vient enrichir celle de Kakuro, se tisse peu à peu l’espoir que demain puisse offrir un réel intérêt de vivre, Paloma et Renée ayant toutes deux renoncées à leur manière à exister.
Superbe illustration du conte du vilain petit canard, ce livre est particulièrement touchant et met en évidence une terrible vérité, il est difficile d’avoir raison seul. Sans la reconnaissance par les autres de la valeur de nos idées et de nos actes, sans la reconaissance de notre identité, on est condamnés à une forme d’errance, l'homme étant fondamentalement un animal social.