L'Île du docteur Moreau est un roman de science-fiction écrit par un des pères de la science-fiction, H.G. Wells. Publié en 1896, le roman s’inscrit dans un contexte historique fort, marqué par la sortie de l’Origine des espèces de Darwin, qui pose entre autre la question du lien entre l’Homme et l’animal, mais aussi époque de la montée des mouvements anti-vivisectionnistes, critiquant le dogme de l’animal-machine, sujet au centre de l’intrigue.


Plusieurs idées principales guident le livre. Tout d’abord, H.G. Wells affirme que le progrès de la science, s’il n’est pas lié à l’éthique et n’est pas guidé, ne peut mener que vers des mauvaises dérives. On a également une réflexion sur la nature des êtres vivants, et sur le fait que la part de bestialité est acquise et ne peut être totalement effacée, malgré l’influence de la culture.
Pour défendre ses thèses, Wells se base sur les Hommes-Animaux. Ces derniers, au centre de l’histoire, sont des animaux, assemblés et remodelés sur le modèle de l’humain, par les vivisections du Docteur Moreau. Ils permettent de confronter directement le lecteur à une dérive glauque de la biologie: Moreau affirme lui-même qu’il ne sait pas pourquoi il a pris l’humain comme modèle, autrement que pour se comparer à Dieu. De plus, ils permettent de montrer que le retour à l’animal est inévitable, malgré l’instauration d’une éducation stricte et de “la Loi”, code quasi-divin invoquant la supériorité de Moreau. Le destin de Moreau, littéralement dévoré par ses créations, montre la dangerosité de ses pensées.


Le point le plus fort du livre pour convaincre est l’ambiance glauque qui y règne tout du long. Les Hommes-Animaux en sont le facteur principal, grâce à leur position coincée entre une humanité qu’ils n’atteindront jamais et une animalité dont ils ont été éloignés. Leur mouvement de balance imprévisible entre aide rassurante et menace selon leur degré de bestialité, leur aspect grotesque et la parodie de société qu’ils ont montés entraînent une lecture fortement dérangeante, qui permet de douter de l'intérêt de ces expériences.
D’autres éléments permettent l’accentuation de ce malaise, notamment le lieu de l’histoire, une petite île qui ne permet ni d’ignorer ni de fuir les Hommes-Animaux, et de placer côte-à-côte l’animalité de leur lieu de vie (des huttes de branches dans la forêt) et le laboratoire du docteur Moreau, avancé technologiquement. De plus, le fait que ces deux espaces de vie, tout d’abord bien démarqués, finissent au fil du temps par être détruit et se confondre, permet encore une fois de flouter la limite entre l’Homme et l’animal.
Enfin, le personnage du Docteur Moreau lui-même entraîne un côté mystique à l’histoire. Bien qu’il apparaît finalement assez peu, sa présence divine hante l’île via certes ses créations, mais également par “La Loi” qu’il a créé et fait respecter, qui affirme sa supériorité par son titre de Créateur, son droit de jugement et de bourreau ainsi que les règles de vie essentielles sur son territoire.


Pour certains, les trop nombreuses descriptions et précisions scientifiques ralentissent le rythme du récit: je pense qu’elles restent néanmoins importantes pour ancrer les enjeux. Les longues explications scientifiques de Moreau permettent de définir précisément ce que veut dénoncer Wells, dans un débat de la place de l’éthique dans la science qui est complexe et encore d’actualité. De même, je pense que les nombreuses descriptions de la monstruosité des Hommes-Animaux sont centrales dans la création du malaise du lecteur.


Ainsi, l’objectif principal de ce livre, à savoir d'interroger le lecteur sur les dérives de la science, est réussi, grâce au malaise induit par les Hommes-Animaux et la figure de savant fou de Moreau. Le livre est très riche et soulève mille questions, dont certaines auraient pu être plus approfondies; je pense notamment à la question de la dégénérescence et du retour de l’humain vers l’animal, abordée rapidement comme un stress post-traumatique de Prendrick dans le dernier chapitre, ou encore à la critique de l’autocratie créée par Moreau.

Inesos
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le 18 avr. 2020

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