Parallèle facile à suivre entre genèse biblique et île
Moreau dieu, mais avec idée de mort.
A été écrit après Frankenstein, donc influence à prendre en compte j'imagine.
Enclos = paradis, dieu cruel d'ancien testament, qui se permet tout pouvoir sur ses créations.
Fruit défendu sera le lapin, avec possible sous-entendu sexuel dans la mesure où le lapin en est une métaphore courante (parce qu'il baise comme un lapin, le connil ; consommation de la chair. Voir tout film où des gens dévorent des gens). Interdit absolu qui implique en cas de transgression la sortie de l'Eden (mort). Toutes formes animales comme autant de déclinaisons d'humanités. Spectre de l'animalité à l'humanité, donc Moreau se permet de bouger le curseur (ce qui implique une absence d'opposition entre animal et humain ; découvertes scientifiques contemporaines à prendre en compte).
La condition animale est naïve et paisible, la condition humaine ne se vit que dans la douleur intense.
Le narrateur est l'élément déclencheur de l'histoire.
Cadre classique de l'île comme microcosme pour tester des solutions sociales différentes (Marivaux l'île aux esclaves, Golding sa majesté des mouches).
Schéma classique du Prométhée qui reforme l'humanité.
Condamnation d'un humain se prenant pour dieu, ou texte plus subversif montrant la cruauté de dieu ?
Horreur en soi une curiosité : l'horreur qu'on ressent pour les êtres qui nous représentent est une horreur tournée vers nous-mêmes, quand recul. Position intenable entre la bête et l'ange de Pascal.
De façon très fugace, Montgomery qui tente de les humaniser à l'alcool, son vice, serait une sorte de diable de l'histoire ? Le bras droit du dieu Moreau, celui qui pèche et aime les êtres avec leurs défauts. Dieu cruel et diable compassionnel, idée qu'on retrouve par ailleurs (Lucifer Sandman Gaiman). Passage sur l'alcool pour en faire "un chrétien", "mille diables", quand Prendick proteste "pour l'amour de dieu". Ça devient transparent là. Ange déchu.
Détails curieux :
Page 189 : "nous n'avons plus ni Maître, ni Fouets, ni Maison de la Douleur. C'est la fin. Nous aimons la Loi et nous l'observerons ; mais il n'y aura plus jamais, ni Maître, ni Fouets, jamais." -> apprentissage de la liberté
Page 193 : "je les suivis, me sachant plus en sécurité avec plusieurs d'entre eux qu'avec un seul". Poids du regard social comme moyen de régulation des comportements (la Loi) ; éclaire le mal-être en société humaine évoqué en tout dernier chapitre.
La déchéance des bêtes sans Moreau, en toute fin : ambigu. Est-ce dire que Moreau ne peut qu'imparfaitement imiter dieu, ou que sans dieu, les humains retourneront à l'état bestial ? De plus : justification de cruauté de Moreau ?..
Peux pas m'empêcher de voir en toute fin un parallèle avec la fin de Rhinocéros de Ionesco, parce que application aveugle de la loi, parce que regard sur l'homme via l'animalité, parce qu'il n'en reste qu'un.
Autre thème du roman : l'altération de l'identité ; des animaux, de Prendick quand il arrive sur l'île, de Prendick quand il réintègre la société humaine.
Le tout dernier chapitre sur le retour à la civilisation humaine paraît redondant en regard du reste du roman (toute société instable, animalité tapie dans l'humain..),
Tout dernier paragraphe, évoquant le soulagement par le "sentiment d'une protection et d'une paix infinie" venant des "cieux", éclaire mes questionnements précédents sur le regard porté sur dieu.
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Ajout du 28 sept 2018
Je ferais même un parallèle avec le Dom Juan de Molière, en fait. Dans les deux cas, on a une œuvre qui, à l'époque, devait montrer la nécessaire soumission à la grandeur et la bonté divines,
Sauf que nous sommes maintenant dans le 2e pays athée du monde, et même sans ça,
Comment en vouloir, aujourd'hui, à un être qui veut s'affranchir de l'ascendant divin ? Comment en vouloir à Dom Juan de vouloir une liberté d'action totale (il s'en sert pour tromper et mentir, ok, mais je ne parle pas de ça) sans tutelle parentale surnaturelle,
Comment en vouloir aux êtres de l'île de croire, une fois Moreau mort (extrait cité de la p189), qu'ils pourront continuer à vivre libres, sans la terreur du fouet ou de la maison de douleur, et autonomes ? Clairement, le dernier paragraphe nous renseigne sur la nécessité, selon le narrateur, d'un dieu nous contenant, nous guidant, ce qui explique la déchéance des êtres une fois Moreau mort. Et c'est bien ce que je trouve de plus triste dans ce roman : cette idée selon laquelle seuls, nous ne valons pas grand chose. C'est donner bien peu de valeur à notre libre arbitre.
Je trouve que ce roman ouvre de belles perspectives de réflexion, et que le dernier chapitre n'aurait pas dû s'y trouver : nous aurions pu peser l'ambiguïté d'un récit qui peut autant souligner la nécessité d'un dieu, que montrer que ce dieu n'est pas vraiment recommandable. C'est le dernier chapitre qui gâche tout (un peu comme le director's cut de Donnie Darko).