Une écriture incisive qui écorce l’image du couple parfait

J’ai lu La délicatesse du homard de Laure Manel il y a quelques semaines déjà. Mes parents étaient en vacances chez nous et papa lisait en parallèle L’Ivresse des libellules publié chez Michel Lafon, le dernier né de l’auteure. Avant de repartir, il me le tend : « Tiens, je viens de le terminer je te le laisse ! ». Malgré une PAL bien fournie, j’avais vraiment envie de poursuivre ma découverte de l’écriture de Laure Manel, percevoir une certaine évolution depuis son premier manuscrit. J’ai tout de même laissé le temps au homard de rejoindre la mer avant de prendre mon envol avec la libellule.


Un attachement immédiat aux personnages


Dès le premier chapitre, j’ai tout de suite pensé cinéma. Trois films sont immédiatement sortis de mon esprit : Barbecue, Les Petits mouchoirs et Le Jeu. Trois films autour d’une bande d’amis qui se retrouve pour un agréable moment mais bien entendu le dit moment part en vrille quand les non-dits, les secrets les plus inavouables et les tensions font ou refont surface. Qui plus est quand la condition sine qua non est de se retrouver, pour une fois, sans enfants. Un élément primordial pour laisser les confidences envahir l’espace du dialogue et les langues se délier. Dans L’Ivresse des Libellules, nous nous retrouvons dans une superbe et immense propriété ardéchoise avec piscine, terrasse, sauna, solarium entourés de quatre couples : Claire et Jérôme, Emilie et Vincent, Sybil et Alexandre, Caroline et Sébastien.


Laure Manel leur a prêté à tous des caractères bien trempés, pas un ne se ressemble et on sent tout de suite que la diversité de cette tribu amicale de longue date va nous offrir pléthore de situations rocambolesques, drôles et tendues. Il y a l’infirmière phobique des microbes jamais sans son vinaigre blanc, l’institutrice calme, posée, bien dans ses baskets, la gérante d’une épicerie apprêtée, organisée, une meneuse insupportable, le professeur d’histoire passionné par les insectes, celle qui ne se sent pas bien dans son corps et qui va profiter de ces vacances pour poursuivre un régime draconien et ainsi, peut-être, reconquérir son mari …


Au début, j’avoue m’être un peu perdue dans les personnages. Qui est avec qui ? Ah oui c’est vrai c’est elle qui … Donc lui, il est marié à celle-ci … En réalité, je me suis retrouvée à la place d’une nouvelle venue dans un groupe d’amis déjà bien soudé à tenter de raccrocher les wagons, me souvenir de chaque prénom et qui est en couple avec qui. Mais alors une fois intégrée, me voilà à parcourir les pages comme si je les connaissais depuis une éternité !


Une écriture d’un réalisme déconcertant


J’ai beaucoup ri à la lecture de ce livre. Je me suis vraiment identifiée aux personnages, aux situations rencontrées. J’aurais très bien pu calquer certaines scènes à celles que j’ai pu vivre avec mes amis. L’attribution des chambres par exemple ! Un sacré défi entre ceux qui s’en fichent royalement, ceux qui arrivent les premiers pour déposer les valises et s’approprier la moins désagréable de toutes … Il y a toujours ce petit flottement dans l’air qui retombe bien vite généralement. Sans oublier, la gestion des courses, la cuisine, les repas, les sorties, les décalages dans le rythme avec les lèves tôt, les lèves tard … L’écriture réaliste à souhait de Laure Manel immerge le lecteur dans ce groupe et nous donne envie de trinquer avec eux entre deux parts de quiche et d’un cake aux olives trop sec.


Mais voilà, un élément perturbateur va venir destabiliser un mécanisme bien huilé. Elle s’appelle Valentine, elle est libraire et amie de Claire. Elle a le moral dans les chaussettes suite à une séparation difficile et se retrouve à intégrer le groupe après la sympathique invitation de Claire qui a eu l’approbation de tout le monde. J’ai eu vraiment peur que cette Valentine explose comme une bombe, que Laure Manel en fasse un personnage trop séduisant, dans l’ambiguïté, en fasse une jolie jeune femme célibataire en maillot de bain au bord de la piscine et qui ne manquerait pas de dévoiler ses charmes devant quatre hommes la langue bien pendue. Mais l’auteure n’en fait rien. Elle a eu la finesse d’en faire un prétexte discret pour révéler des problèmes de couples sous-jacents, les mauvaises fois et les caractères compliqués de certains.


La conclusion ne tarde pas à arriver : si on gratte un peu sous la couche de vernis, tous les couples rencontrent des problèmes, certains se relèvent, d’autres pas, mais le couple parfait vivant un idylle sans haut et sans bas n’existe pas.


J’ai adoré ce troisième roman qui révèle une écriture incisive et fougueuse. Laure Manel se passe des fioritures et va droit au but. Il n’y a pas une page qui se déroule sans indélicatesse, sans encombre, sans rebondissement. Et pourtant, le thème de base, les difficultés à être en couple, pourrait très vite rencontrer une certaine lassitude et très vite s’épuiser. Avec L’Ivresse des libellules absolument pas. On est saisi, porté et on ne lâche pas le roman jusqu’à la dernière page.

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7

Créée

le 10 juin 2019

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