Les critiques littéraires, à la sortie de ce livre en 1963, ont rapproché Esther Greenwood de Holden Caulfield, le narrateur de L'Attrape coeurs (1951). S'il s'agit dans les deux cas de romans initiatiques, j'ai trouvé que ces fictions n'avaient que très peu de choses en commun et que le roman de Sylvia Plath avait moins vieilli que celui de J. D. Salinger.

D'ailleurs, La cloche de détresse m'a franchement rappelé Moi, Charlotte Simmons (2004), mais sans le patois 'fuck' qu'y use et abuse Tom Wolfe. En effet, lorsqu'Esther et son amie Doreen choisissent d'échapper aux strass et paillettes de leur cérémonieux voyage pour aller à la rencontre d'un monde opposé – fruste et pervers -, c'est à une jeunesse vaguement décadente que nous avons alors affaire... Toutefois, Sylvia Plath ne poursuit assurément pas les mêmes objectifs que l'Américain aux vestons blancs. Elle nous laisse découvrir un personnage riche en nuances, sans excès, et éminemment humain. C'est, avec elle, fondamentalement la question de l'être qui se pose, et non celle du paraître...

Lorsque Esther regagne Boston, le désœuvrement laisse place à la panique : Esther reste vêtue durant trois semaines de l'élégante tenue que lui avait donné l'une de ses camarades à New York et ne trouve plus ni le sommeil, ni l'appétit, ni la concentration. Cet affaiblissement progressif se traduit, dans le livre, par une modification stylistique : Esther recourt de plus en plus aux ellipses/flash back et se disperse continuellement. Bien qu'il s'agisse d'une démarche perspicace pour témoigner de la confusion qui l'habite, j'avoue avoir commencé à perdre moi-même les pédales dès lors que j'ai vu Esther à ce point se diviser...

C'est pour cette raison que je n'ai pas pu savourer la deuxième partie du roman comme la première.
Cependant, je n'en suis pas restée là : l'insatisfaction s'est dissipée en faveur d'un sentiment nettement plus optimiste grâce aux critiques de Lilly, Chiffonnette, à l'analyse du Buzz littéraire, et à la lecture morcelée de cet ouvrage. Tous ont en effet retranscrit des extraits du livre et c'est en redécouvrant isolément les plusieurs passages qui les avaient marqués eux que j'ai moi-même été percutée par la force du roman.

J'ai lu dans les mots d'Esther Greenwood mes propres passages à vide...

C'est donc en deux temps que s'est forgée mon opinion. J'ai initialement été déçue par ce livre jusqu'à ce que les avis et analyses de lecteurs tiers m'aident à revoir mon jugement.

Au final, La cloche de détresse m'apparait comme une fiction annonciatrice, car ce spleen dont Esther est la proie et qui n'est la cause de presque rien – que l'on qualifierait volontiers d'anodin – pourrait être celui de n'importe qui. De même, ce roman est une démonstration subtile de la fragilité des Hommes et donc de la facilité à laquelle tout un chacun peut sombrer subrepticement, vertigineusement vite et bas.

Le parcours d'Esther, c'est aussi celui de Sylvia. Ce roman ne peut donc qu'appeler à la réflexion et avoir une résonance.
C'est un livre vrai.
Reka
7
Écrit par

Créée

le 21 mai 2011

Critique lue 808 fois

5 j'aime

2 commentaires

Reka

Écrit par

Critique lue 808 fois

5
2

D'autres avis sur La Cloche de détresse

La Cloche de détresse
gaatsby
10

Le génie de Sylvia Plath

Sylvia Plath fait partie de ces artistes qui me passionnent, qui me hantent ... La Cloche de détresse est malheureusement son unique roman... mais quel roman tout de même ! Il est difficile d'en...

le 22 mars 2014

24 j'aime

3

La Cloche de détresse
aaiiaao
7

Critique de La Cloche de détresse par aaiiaao

J'en ai lu des romans difficiles mais celui-ci les surpasse tous à un niveau plus personnel. C'est le seul roman de Sylvia Plath. D'inspiration autobiographique, il raconte la chape de verre qui...

le 6 août 2019

8 j'aime

1

La Cloche de détresse
nelopee
10

Merci Sylvia.

Il y a des livres qu'on ouvre en sachant à l'avance que nous allons les aimer. C'est le cas pour The Bell Jar. J'étais déjà tombée sur quelques poèmes de Sylvia Plath, et fascinée par sa plume imagée...

le 9 mars 2016

6 j'aime

1

Du même critique

La Délicatesse
Reka
2

Critique de La Délicatesse par Reka

Précepte premier : ne pas lire la quatrième de couverture(*) de ce fichu bouquin. (*) « François pensa : si elle commande un déca, je me lève et je m'en vais. C'est la boisson la moins conviviale...

Par

le 19 mars 2011

28 j'aime

3

Il faut qu'on parle de Kévin
Reka
9

Critique de Il faut qu'on parle de Kévin par Reka

Eva Khatchadourian entreprend d'écrire à son ex-mari, Franklin, pour réévoquer le cas de leur fils, Kevin. A seize ans, celui-ci a écopé de sept années de prison ferme en assassinant et blessant...

Par

le 7 janv. 2011

24 j'aime

2

Le Chœur des femmes
Reka
6

Critique de Le Chœur des femmes par Reka

Le tempérament contestataire et farouche de Jean Atwood m'a particulièrement amusée et a par conséquent contribué à une immersion rapide et facile au sein de l'ouvrage. Le roman de Martin Winckler...

Par

le 29 mai 2012

20 j'aime