La ferme des animaux est le récit du soulèvement animalier d’une petite ferme dirigé par la tyrannie humaine ; sitôt l’expropriation de Mr Jones accomplie, sitôt un état populiste s’installe qui sournoisement se métamorphosera en dictature… Jean de la Fontaine n’aurait pas renié l'apologue croustillant et sarcastique de George Orwell.

La ferme à la population diversifiée, comme autant de caractère humain représenté, sera le tableau allégorique d’un espoir de liberté, d’égalité et de fraternité souvent rêvé, mais jamais exaucé… Les cochons, les plus intelligents des animaux, deviennent rapidement de beaux-parleurs manipulateurs ; le cheval de trait, obéissant et vaillant, se borne laborieusement à accomplir les tâches journalières, se rattachant à l’optimiste devise : travailler dur résolve les problèmes et prodigue prospérité à tous ; les moutons sont les groupies naïvement influençables ; les chiens de féroces milices endoctrinés ; les poules, les petites ouvrières docilement productives… En fait, il n’y a bien que l’âne, revêche et obstiné, qui cache sa clairvoyance par un regard mutique sur l’évolution des événements incongrus qui s’amoncellent…

Comme toute révolution, le misérabilisme des conditions de vie de servitude vient à exacerber la bassecour ; un sage prophétise l’espoir, suivi d’un acte intolérable mettant le feu aux poudres ; un réflexe muri langoureusement dans cet espoir rancunier va précipiter la débâcle du tyran… Les débuts de la nouvelle petite société, dirigée par tous, semblent prometteurs ; les conditions de vie deviennent prospères, équitables et la camaraderie s’installe en même temps que de grandes idées surgissent ; la philosophie Animalisme est inscrite sur un panneau, 7 commandements instaurant une vie paisible, égalitaire et de bonheur certain. Mais, bien sûr, la vigilance, elle, s’effrite en même temps que les souvenirs, laissant la porte ouverte à l’ambition et la traîtrise…

Et lentement, chacun des 7 commandements de la loi Animalisme va être détricoté méthodiquement, vilainement, fil par fil, par la bande de cochon. Leur hâbleur, à la gesticulation frénétique embellissant sa mesquine dialectique, étant joyeusement mis à contribution pour travestir la vérité et asseoir la confusion dans les esprits ; propagande par les maximes, les mensonges, la peur, les menaces d’invasions ou du retour de Mr Jones, tout en occupant les esprits par l’édification de monuments symbolisant les promesses ; l’engrais parfait à la division et l’instauration durable d’une société hiérarchisée où les animaux ne seront plus égaux entre eux, mais dont une élite auto-déclarée, s’accordant privilège sur privilège, jouira insidieusement du labeur servile du plus grand nombre… La mémoire d’un passé révolue se délitant avec le temps et le contrôle enchainé par de cruelles répressions permettent aux ambitieux de lier alliance avec l’ennemi extérieur afin de combler chacun leur dessein de pouvoir et richesse. Ainsi, irrémédiablement, la ferme revint à son point de départ, asservi une nouvelle fois, les travailleurs s’échinant encore plus rudement pour n’en récolter qu’une maigre pitance tout juste bonne à maintenir les jambes flageolantes en équilibre précaire. Je vous laisserais apprécier la fin, tout un symbolisme…

Dans la ferme des animaux, George Orwell nous illustre les dangers d’une mémoire versatile qui sombre dans l’amnésie du temps qui s’écoule, terreau fertile aux manipulations despotiques. L’espérance aveugle et la crédulité étant néfastes par le simple fait d’engendrer un attentisme propice à l’ancrage durable d’une situation déliquescente vouée à devenir désespérante. Tout le mécanisme est décrit minutieusement avec cette pointe de cynisme drolatique apte à pousser des exclamations dépitées tout en nous faisant réfléchir. Et l’intérêt du récit est là, malgré qu’on sache dès le début ce qu’il va advenir, on est rivé sur les pages face à cette ribambelle de personnages pittoresques vivotant dans cet engrenage malsain inspiré de la révolution Russe et du Stalinisme…

Un petite fable jubilatoire sur les faiblesses de l’homme, prêt à tout accepter sous couvert de vaines illusions… À l’image d’une entreprise, une petite ferme, George Orwell fait échos à notre histoire, celle d’un passé où les insurrections et révolutions, quoique réussies dans l’instant, n’ont pas eu l’effet escompté dans la durabilité du temps… Malheureusement toujours d’actualité, le récit fait aussi échos à notre société actuelle, constat amer d’un indéfini recommencement dans les civilisations humaines…
Karaziel
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Mes anciens Livres de chevet...

Créée

le 17 sept. 2014

Critique lue 827 fois

10 j'aime

Karaziel

Écrit par

Critique lue 827 fois

10

D'autres avis sur La Ferme des animaux

La Ferme des animaux
limma
8

Critique de La Ferme des animaux par limma

Georges Orwell écrit en 1945 la ferme des animaux et on peut dire que le temps n’a pas de prise même si il s’agit ici particulièrement du communisme qui est dénoncé et Staline en particulier. Une...

le 2 janv. 2018

37 j'aime

5

La Ferme des animaux
ArthurDebussy
9

Une oeuvre – hélas – toujours d'actualité...

Un bref roman incisif, puissant, inoubliable, terriblement lucide sur l'essor des totalitarismes au XXème siècle. En 10 chapitres seulement, avec une écriture sèche, aride, Orwell analyse les rouages...

le 8 déc. 2018

29 j'aime

12

La Ferme des animaux
batman1985
9

Sus à Staline !

Résumer George Orwell à son oeuvre la plus renommée qu'est 1984 serait purement et totalement réducteur tant l'écrivain nous a offert d'autres ouvrages remarquables. Cette Ferme des Animaux en est...

le 21 juin 2016

22 j'aime

Du même critique

Des souris et des hommes
Karaziel
9

Il n’est pas nécessaire d’être intelligent pour être bon…

George et Lennie, deux amis d’enfance, sont des journaliers qui égrainent les routes de Californie de Ranch en Ranch afin de gagner de quoi réaliser leur rêve, vivre comme des rentiers dans leur...

le 6 juil. 2014

22 j'aime

1

Number 5
Karaziel
9

Confrontation utopique…

Number 5, sniper d’élite, fait partie du conseil Rainbow, organisation armée pour la paix. Ayant trahi les autres membres en enlevant une étrange jeune fille prénommer Matriochka ; ces derniers vont...

le 11 févr. 2014

19 j'aime

1

Wish You Were Here
Karaziel
10

Frisson sur la peau, tristesse dans le coeur…

Pink Floyd est pour moi un groupe d’une importance primordiale, car sa musique envoûtante fait échos aux différentes facettes de mon esprit. Je plonge au coeur de leurs mondes psychédéliques pour y...

le 25 févr. 2014

18 j'aime

4