Alain Damasio signe de sa superbe plume un récit remarquable, où l’aventure épique côtoie la cohérence sans jamais que l’une ne soit sacrifiée au profit de l’autre, où la forme profite au fond.


(Notez qu'il ne vaut mieux pas poursuivre la lecture si vous n'en avez pas terminé la lecture)


Dès l’entame, l’ampleur de la tâche frappe. Le pavé est imposant, pèse entre les mains. Le style varie d’un personnage à l’autre puisque le récit nous sera conté à travers différents points de vue. Les noms défilent, les professions et formes de vent fusent. Le lecteur est ballotté dans tous les sens, jeté au milieu d’une quête, sans aucun repère et doit tout apprendre en même temps. Damasio a voulu que l’entrée dans cet univers soit tout sauf paisible, que le lecteur souffre avec ses personnages.


Le précieux marque-page aidant, la première centaine de pages se termine sur la sensation d’en avoir chié des ronds de chapeau mais également d’avoir vécu le plus difficile, d’avoir survécu avec la Horde.


Le reste du récit ne déçoit pas et, sans se laisser dépasser par son ambition, accouchera d’une fin mémorable tout en restant logique. Beaucoup sont ressortis frustrés d’avoir deviné la conclusion longtemps à l’avance. Il s’agit pour moi d’un mauvais procès fait au livre puisqu’il maintient sa cohérence jusqu’au bout et ne se laisse pas déborder par une folie épique irrationnelle.


Du début à la fin, le lecteur accompagne cette horde, sommité de personnes agrégées ensemble pour vaincre les vents les plus forts et pousser l’exploration du monde, de leur monde, jusqu’aux confins du connu et au-delà si possible. Ce qu’il y a à trouver au bout, à l’Extrême-Amont, est évident. Et Damasio réussit son pari en laissant le lecteur croire qu’il pourrait y trouver autre chose, en lui faisant concevoir que peut-être l’un de ses personnages a raison. Chacun d’entre eux ou presque a sa théorie plus ou moins farfelue sur ce qu’il y a tout au bout. L’espace de quelques instants, à un moment ou à un autre, chaque lecteur se laissera emporter par son imagination et envisagera l’illogique. Comme les explorateurs des mers en leur temps qui imaginaient un jour trouver face à eux la fin du monde, le vide, l’endroit où le sol et la mer s’arrêtent. C’est là que l’auteur remporte son pari, en nous faisant perdre pied et en faisant du lecteur un 24ème membre de la Horde.


Nul ne pourra nier avoir été touché par certaines disparitions inévitables, avoir savouré les quelques parenthèses de relâchement, avoir ressenti les bourrasques avec la 34ème Horde. Si Damasio donne parfois l’impression de se regarder écrire en se faisant trop plaisir, il convie le lecteur à vivre une épopée sensationnelle dans un monde cohérent, peuplé de personnages crédibles aux fonctions parfois surprenantes, et qui ne laisse pas insensible.


La perpétuelle quête de la « surprise finale » empêche de savourer correctement un ouvrage de cet acabit qui, à défaut de proposer une conclusion rocambolesque mais surprenante, a opté pour surprendre son lecteur en permanence, le faire rêver, l’émerveiller, en faire un explorateur de terres vierges, et rendre le voyage plus important que la destination.


Rares sont les livres qui, ces dernières années, m’ont tellement captivé que je n’en sortais plus et restais éveillé la nuit pour prolonger mon voyage. La Horde du Contrevent m’a tout simplement absorbé, a balayé en quelques pages mes craintes et m’a permis de découvrir un auteur que je n’avais jamais lu mais qui m’a impressionné par sa maîtrise.


Inoubliable !

Flibustier_Grivois
10

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le 10 août 2016

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