Critique analytique.


Ma critique va être négative. Personnellement, les thèmes de ce livre m’ont mis en colère mais c’est tout à fait possible d’y trouver un sens profond et stimulant.


J’ai découvert ce livre dans des tops de Science-fiction sur Sens Critique. J’ai vu sa note, j’ai vu que c’était français, j’ai vu ce qu’en pensaient mes éclaireurs et surtout j’ai vu le concept : un monde balayé par les vents avec une horde qui le remonte pour voir ce qu’il y a au bout. J’étais enthousiaste. Pourtant, le début m’a un peu douché. Je ne comprenais pas les mots qu’ils employaient (chrone, fréoles, furvent…) comme leur sens ne nous est pas donné et j’avais du mal à assimiler les différents signes. Il est vrai qu’en fin de compte ça ne sert à rien mais ce n’est pas très dur de s’y habituer.


Il y a un nombre important de personnages mais on s’attache facilement à eux. Les assimiler à leurs fonctions et souligner leur importance aide à les visualiser et à les apprécier. Les différentes dynamiques dans la horde sont claires. Le fait que les personnages soient les narrateurs et aussi bienvenu ne serait-ce que pour le décalage entre les styles. J’ai assez bien intégré l’Histoire, par exemple l’importance du fait qu’il s’agit du dernier Golgoth. Le monde est plutôt mal présenté. On évoque les dynamiques de pouvoir mais celles-ci ont très peu d’importance pour la suite. L’empathie envers ceux qui suivent les exploits de la horde est inexistante sauf avec les racleurs d’Alticcio. La horde semble importante pour l’Histoire, pas vraiment pour les gens de ce monde. On peut mettre cela sur le compte de la distance avec la capitale.


Les enjeux sont normalement passionnants. L’envie de savoir ce qu’est l’Extrême-Amont motive à aller jusqu’au bout même s’il vous oblige à supporter les divagations des personnages. S’il n’y avait pas eu l’aspect magique, j’aurais mis 7 ou 8 à ce livre. L’intrigue est un prétexte pour transmettre pour transmettre une « philosophie ». Le livre s’inspire des écrits de Gilles Deleuze qui appartient au relativisme post-moderne dont Alan Sokal a révélé l’escroquerie dans son « Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique ». Mais bon ça peut quand même faire une bonne histoire. 300 fait une apologie de la violence mais il le fait super bien. Malheureusement pour moi, au lieu d’utiliser pleinement le potentiel de son monde, l’auteur a préféré faire appel à de la magie pour mieux faire passer son message. La construction de l’univers avec le système de notation des vents et le vocabulaire adéquat a dû demander beaucoup de travail mais on dirait que cela s’est fait au détriment de la profondeur de l’ouvrage. Normalement l’appel à la magie est fait pour rationaliser les choses. Prenons un homme dans l’Antiquité. Pour lui la foudre est un mystère énorme. On lui dit que c’est Zeus qui fait ça, il se dit ah ok, faut pas chercher à comprendre, et il passe à autre chose. Dans un livre il ne faut pas faire ça.


Entrons dans les détails. Les connaissances d’Oroshi sont trop importantes pour qu’elle les garde pour elle. Au début on l’admire pour sa lecture du vent. Puis on nous dit que ça vient en partie d’une sorte de sixième sens qui capte la magie que nous ne pouvons pas comprendre. Ça détruit tout. C’est la même chose pour l’Extrême-Amont. Visiblement, les anciens (je hais ce procédé narratif qui insinue que la modernité est porteuse d’obscurantisme, alors que dans l’histoire ça a été le contraire) savaient ce qu’il y avait au bout (en tout cas c’est la conclusion des personnages). Question : pourquoi le garder pour eux ou l’exprimer de manière incompréhensible ? Il n’y avait qu’à dire : « bon les gars, en fait la Terre est ronde et y’a pas d’origine du vent parce que ça tourne, vous voyez, ah et en haut vous rencontrez la neuvième forme mais ça vous tue, du coup ça vaut pas trop le coup d’y envoyer des hordes ». Comment les anciens pouvaient-ils savoir ? Ils ont fait le voyage ? Ils l’ont ressenti au plus profond de leur être donc faut pas chercher à comprendre ?


Le concept de horde aurait pu être génial mais l’auteur en a amenuisé les enjeux. Le monde avait-il besoin d’être si avancé technologiquement ? En fin de compte, le seul véritable enjeu de la horde était de passer Norska. Le voyage doit normalement endurcir la horde et l’habituer au Contre en lui faisant rencontrer notamment 6 formes de vent. Toutefois, la horde rencontre plusieurs furvents donc les héros ont rapidement connu les 6 formes. De plus ils arrivent assez âgés à Norska. A 30 ans, on est souvent plus fort qu’à 40. Erg constate d’ailleurs qu’il a bien vieilli et qu’il n’est pas aussi efficace. Mais passer Norska demande de l’endurance et on voit pas mal de personnes âgés championnes d’ultra-trail donc passons. Cela n’empêche pas que le voyage ne soit pas très utile pour passer Norska. Ils auraient plutôt dû faire plus d’alpinisme pour avoir une chance. Au passage, la mort d’Arval est complètement conne. Pourquoi les parents n’ont-ils pas prévenu leurs enfants pour éviter ce genre de problèmes ?


Ah mais avec cette connerie de vif, il n’y a pas vraiment de morts. A plusieurs reprises j’ai hésité à arrêter ma lecture tellement ça gâche le récit. Le concept de vif est censé donner de la profondeur à la vie humaine genre « il y a quelque chose de transcendant et d’inaccessible derrière ». Ça doit donner une portée à la quête mais la fin va dans le sens contraire. Au bout, on comprend que la horde n’avait pas vraiment de sens mais ce n’est pas grave. Il n’y a pas eu de mort pour rien grâce aux vifs et on peut rencontrer la neuvième forme.


Les prédictions de Caracole m’ont peiné. Déjà, il voit l’avenir parce que… magie. Normalement, cela doit donner, encore une fois, de la profondeur à la magie de l’univers mais c’est à mon sens inutile. La réaction de Sov doit faire l’intérêt de la vision car il est face à un dilemme : doit-il continuer alors qu’il sait ce qu’il va arriver à ces amis ? Mais ça ne m’a pas branché. Pourquoi ne dit-on rien au reste de la horde, ça les concerne quand même un peu ? Surtout, c’est nul de savoir ce qu’il va se passer. On sacrifie l’intrigue pour mettre en évidence la magie.


Le livre invite à envisager une certaine méconnaissance de la science de la part de l’auteur. La société du livre semble assez avancée. Les habitants savent construire des véhicules complexes pour voler ou aller contre le vent. Cela nécessite un bon savoir technique. Le livre invite à penser que la science s’est organisée dans ce monde. Son meilleur représentant doit être Oroshi. Le problème est que finalement, les aerudits (comme Oroshi) ne sont pas des scientifiques, ce sont des prêtres. Pourquoi alors qualifier les aéromaîtres de scientifiques ? La magie de ce monde est concrète. Elle est reliée au vent et peut se constater dans des expériences. La science doit l’étudier. Dès lors, de ce qui se passe dans le livre, rien ne peut être qualifié de scientifique.


Autre problème : la poursuite. Qui est derrière elle ? A quoi sert-elle ? Je ne trouve aucune raison valable pour empêcher la horde d’aller se faire oublier dans les pentes de Norska. Ça aurait pu faire quelque chose d’intéressant mais comme elle ne peut pas passer Norska, on doit l’oublier pour se concentrer sur les vifs.


Passons au dernier point : l’Extrême-Amont. Je m’étais préparé à être déçu. Avec la mise en évidence de la magie, il me paraissait évident qu’à la fin on allait avoir droit à un festival de spiritualité fumeuse. C’est ce qui s’est bien sûr passé. Pourtant, à ma grande surprise on est retombé sur une explication logique : la Terre est ronde. C’était une explication prévisible mais très intéressante à mon sens. L’auteur n’en fait strictement rien. C’est juste la chute. Un retournement final n’a d’intérêt que s’il n’est pas attendu. Par exemple dans le film the Mist, on est tellement choqué par la fin que ce n’est pas la peine d’aller plus loin (pareil pour la Parure le Maupassant). Là on l’attendait depuis le début. Le livre ne laisse même pas le temps à Sov de comprendre. C’est juste pour nous, une manière de dire « je vous ai bien mené en bateau ». Sauf que non. Pourquoi est-ce que cette hypothèse n’est jamais avancée par les personnages ? Ce n’est pas trop compliqué de se rendre compte que la Terre est ronde. Même au Moyen-Age on en avait conscience mais on évitait de trop le dire car c’était contraire à la vision de l’Eglise, et surtout on s’en foutait. Là, déterminer la forme de la Terre semble être de la plus haute importance. On peut s’en sortir en émettant l’hypothèse que le monde n’est pas sphérique et que Sov est téléporté. Ou alors c’est l’espace-temps qui est fermé mais cela implique une violation du principe de causalité ainsi que la possibilité de remonter le temps.


J’aurais vraiment voulu autre chose. J’aurais voulu un livre qui soit un minimum rigoureux avec son principe de base pour me le faire vivre pleinement. Les dynamiques de l’espace et de peuplement devraient être bouleversée mais ce n’est pas le cas dans le livre à cause de la technologie Fréole. Par exemple, aller en aval serait très risqué puisqu’après on ne pourrait plus remonter. Les populations se retrouveraient cloisonnées. Certaines personnes demanderaient l’aide de la horde pour rejoindre ceux qu’ils n’ont plus vu depuis des années. L’Hordre ne pourrait régner dans ses conditions sur le monde. On enverrait la Horde pour voir comment est l’amont, véritable Terra incognita. La horde, constituée d’une véritable armée, pourrait croiser des gens qui ferait le chemin inverse, de l’amont vers l’aval. Elle devrait leur annoncer qu’il n’y a rien en bas à part des falaises et que le mystère est en haut. On ne serait pas à même de comprendre que la Terre est plate. La religion dirait par exemple le contraire, ou il y aurait toujours une sorte de brouillard à cause du vent qui empêcherait de voir qu’il y a un horizon, ou les deux. Le Contre serait une manière de se rapprocher des Dieux. Certains peuples rencontrés pourraient vouloir aller en aval pour le conquérir ce qui poserait question de la dangerosité de la horde. La poursuite pourrait venir de fanatiques religieux ou d’un retournement de pouvoir en aval, le nouveau gouvernement aurait peur que la horde fomente une reconquête depuis l’amont. La fin serait une désillusion. On devrait affronter l’évidence d’un monde sans Dieu mais ce serait un faux désespoir puisque désormais on connaitrait l’étendue de la planète et surtout les populations qui la composent. Ce pourrait être synonyme d’une révolution humaniste.


Des idées par-ci par-là.

CauchySchwarzy
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le 19 août 2016

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Cauchy Schwarzy

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