A Oran, une épidémie de peste éclate. On suit le docteur Rieux, qui lance l’alerte. Les visites qu’il fait aux patients au fil de l’expansion de l’épidémie est l’occasion de peindre de quelle manière les hommes vont faire face à l’inexorable, comment leurs convictions vont s’y heurter. Le début est long ; concordance du fond et de la forme, car les gens, incrédules, ont du mal à admettre le retour de la peste, symbole de mort revenu du fond des âges. D’une certaine manière, c’est l’idée de leur propre mort, inexorable, qu’ils peinent à accepter.
L’un des personnages est intriguant : malade, il semble se réjouir de l’épidémie. Est-ce parce que la maladie des autres apparaît comme la seule consolation à la sienne, la solitude ? Les morts commencent à se multiplier.
Le personnage du prêtre, aussi, est intéressant. Au cours d’un prêche, il présente la maladie comme un châtiment infligé aux hommes pour leur vanité et leur impiété. Réquisitoire contre la pratique religieuse de l’époque, le sermon critique l’hypocrisie des croyants dont la foi, dépourvue de toute émanation de vertu dans les actes, se borne à la répétition de signes et vagues paroles ostentatoires. La peste apparaît comme un fléau, quelque chose d’impossible : une punition divine. Les hauts fonctionnaires eux-même sont impuissants : l’État est impuissant.
« C’est au moment du malheur qu’on s’habitue à la vérité, c’est-à-dire au silence ».
Les gens, informés de la gravité du problème, abandonnent la religion au profit de la jouissance : la proximité de la mort accompagnée du besoin de volupté, comme pour compenser les plaisirs manqués d’une vie tronquée, comme s’ils n’auraient pas dû mourir si tôt.
La peste est pour le docteur une « interminable défaite » ; raison insuffisante pour baisser les bras (dommage…)
Le mal frappe sans logique : n’importe qui peut être touché, quelles que soient les précautions qu’il prenne. C’est une lutte contre la résignation, et pour la vie.
Toute une économie parallèle s’est développée : la peste profite à certains. LE personnage de Rambert, qui tente de fuir la ville depuis le début, décide finalement de rester, pour aider, et partager le malheur des autres (communisme de la douleur : pas très vendeur, mais déjà en pratique).
Passage terrible de la mort du très jeune fils du juge d’instruction. Rieux craque ; c’était un innocent ; il se révolte :
« Et je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où des enfants sont torturés. »
Pour le prêtre, la peste est un moyen pour le chrétien une mise à l’épreuve :
« L’heure est venue. Il faut tout croire ou tout nier. Et qui aurait tout nié ? »
L’un des personnages n’a aucun intérêt que la peste ne s’arrête : il devait être jugé. Le chaos profite toujours à quelqu’un.
La peste finie, Rieux perd sa femme, partie en cure avant le début de l’épidémie.La mort est partout. Elle ne se réjouit pas de la fin du malheur. La faucheuse ne prend pas de vacances.
Les circonstances exceptionnelles passées, les hommes redeviennent tels qu’ils étaient. Comme si rien n’avait eu lieu. L’exception réveille les caractères, mais le retour à la normale les rendort.
Il n’y a que Cottard, qui devait être jugé, qui se retranche dans une maison, arme en main, avant d’être pris. J’aurais envie de dire qu’il avait collaboré avec la mort. Mais la mort ne s’en est pas allée avec la peste. Et Collard devait être jugé avant l’épidémie.
Camus a confirmé le parallèle avec le nazisme (lettre du 11 janvier 1955 à Roland Barthes).
L’Etranger paraissait meilleur, plus énerve, moins politiquement trivial. Il y a eu un glissement entre les deux œuvres, « le passage d’une attitude de révolte solitaire à la reconnaissance d’une communauté dont il faut partager les luttes » (même lettre du 11 janvier 1955).
C’est le personnage de Rambert qui incarne le mieux ce passage, lui qui était prêt à tout pour fuir, mais qui décide, au moment crucial, de rester pour partager la lutte de ses momentanés frères de souffrance. Comme l’Etranger, l’œuvre est plutôt brève.
Le tout est pourtant riche, les personnages nombreux et charismatiques. Pourtant, le début et la fin m’ont lassé. Le centre du livre est plus fascinant, surtout grâce aux réflexions et débats métaphysiques du prêtre et de Rieux.
Le parallèle de la peste avec le nazisme reste discret donc acceptable : dans le cas contraire, l’œuvre aurait perdu son caractère universel et intemporel.
Si le mot « niaiserie » me vient à l’esprit pour qualifier certaines idées de l’œuvre, ce n’est certainement pas dû à un défaut intrinsèque du roman.
Il faut plutôt , je crois, blâmer ceux qui, inspirés par l’œuvre, nous ont rabattu des oreilles avec des valeurs, d’une manière qui ne fait pas honneur à leur source d’inspiration, tant ces personnes ont péché par manque de finesse et manichéisme, contrairement ) leur admirable modèle.
On dirait du Malraux, tant les personnages transcendent leurs intérêts égoïstes au profit d’une cause plus juste.
Très bon, mais a, je pense, un peu mal vieilli ; les ficelles ont été usées par la médiocre postérité.