On a beaucoup parlé de « La Servante Ecarlate » ces derniers temps, et j’ai finalement été assez peiné d’en entendre parler seulement maintenant. Effectivement, rapides ont été les recherches qui m’ont mené à cette constatation : du point de vue général, c’est un roman majeur. Une dystopie reconnue par les plus grands maîtres, par la critique, les lecteurs… Et ceci presque jusqu’à en être érigé au rang de « 1984 ». Alors, très personnellement, je n’ai jamais été très excité par les « grands livres » reconnus par tous, disséqués des dizaines de fois, sur lesquels tout a été dit. Cela me donne toujours l’impression que malgré toute la concentration et l’effort intellectuel que je pourrai investir dans ma lecture, je manquerai finalement des points essentiels, des aspects importants de la réflexion, enfin, vous voyez le dessin.
C’est évidemment ridicule, et ce n’est pas cette critique qui prouvera le contraire. Effectivement, « La Servante Ecarlate » a beau être un roman majeur, ça ne l’est pas devenu par la seule force de sa réflexion intellectuelle. C’est en-dehors de toute perspective politique, philosophique ou idéologique que le roman se déploie de manière fabuleuse et terrifiante : nous sommes face à une narratrice exceptionnelle, et une écriture incroyable. Ce livre est une petite folie. Mais Dieu sait que j’en aurai mis du temps à le finir ! Traversant de nouveau une période détestable de « petite lecture », ce livre m’a accompagné finalement pendant plus d’un mois, cette histoire s’insinuant dans mon quotidien et y trouvant un écho très particulier. Nombreux sont les avis parlant de récit « prophétique » à propos de ce fameux régime de Gilead ; et si je n’aime pas des engouements aussi soudains et pessimistes, force est d’admirer la remise en question qu’impose ce roman. Je n’ai peut-être pas les connaissances suffisantes pour analyser théoriquement la probabilité d’un totalitarisme comme celui-ci, mais la qualité de synthèse de ce qui s’est déjà produit, et l’intelligence de s’appuyer sur les craintes de notre époque font de Margaret Atwood une visionnaire certaine.
Ce que j’aimerais particulièrement souligner dans cette critique, c’est cette écriture extrêmement sensorielle. Autant le dire : du début à la fin, tout est vu à-travers la médiation de Defred. Faire confiance ou non au narrateur ? Raconter est déjà un mensonge, et Defred se l’avoue elle-même, alors qu’elle se noie parfois entre souvenirs, sentiments et sensations. Et ceci fait de « La Servante Ecarlate » un roman qui n’est, in fine, pas si évident à lire. Certains s’interrogeaient sur la traduction, possiblement confuse : pour avoir essayé la version anglaise également, on retrouve ce même côté brouillon, évidemment dû aux incessants allers-retours entre passé et présent, entre fabulation et descriptions factuelles, entre joies et déceptions, désillusions et images d’espérance. Alors, c’est certes difficile à lire parfois, tant on peut se perdre entre les pages, mais c’est tellement enrichissant !
Defred est décidément uns des plus belles figures narratives que j’ai eu la chance de lire. Son regard se teinte à la fois de naïveté et d’ironie, d’amour comme de haine. Pauvre femme cloitrée dans sa prison de chair et trouvant son échappatoire dans l’indifférence de sa chambre, une fois le jour tombé. On réfléchit beaucoup avec elle : autant aux petites joies dont on profite à l’instant-même qu’aux sens si différents et pourtant fédérateurs du terme liberté. Sa voix ressemble parfois à une comptine, parfois à un récit d’horreur. Car croyez-moi, elles ne manquent pas, ces scènes où le sang se fige et que l’imagination galope contre son gré.
La conclusion du récit est également une grande réussite. Apportant un peu de légèreté au récit et une touche de lumière fort bienvenue, on s’en réjouira.
Je ne rajouterai pas grand-chose de plus, puisque comme je l’ai dit dans l’introduction, des analyses détaillées existent partout sur le net. Mais j’espère, en tant que lecteur lambda, vous avoir convaincu du caractère essentiel de ce roman. C’était véritablement, génial.
Wazlib
9
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le 8 sept. 2017

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Wazlib

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