Le roman de Margaret Atwood a connu une seconde jeunesse suite à la sortie de la série en 2017.


Le contexte ne pouvait être mieux choisi pour l'adaptation du récit de Defred (VF)/Offred (VO) entre l'arrivée au pouvoir d'un misogyne notoire aux Etats-Unis, l’effervescence de la campagne #MeToo et la culture du viol toujours malheureusement d'actualité.


Margaret Atwood a un style très particulier peut-être dû à son domaine de prédilection qu'est la poésie. Les phrases sont courtes et directes, très incisives. Elle ne perd pas de temps à enjoliver ses tournures, ce qui résulte en un récit quasiment didactique et il faut le dire, prenant. On y croit que c'est une servante qui raconte ses mémoires (à qui ? comment ? quand ? ces questions ne trouvent pas de réponses) d'un ton détaché. La violence psychologique du monde de Gilead est vue à travers les yeux d'une femme réduite en "calice sacré", je trouve la déshumanisation progressive de la narratrice très bien amenée. Certains pourraient reprocher un manque d'émotions, je ne verrai pas ça comme un défaut, c'est au contraire une dimension qui je pense a été voulue par Margaret Atwood afin de rendre compte de la destruction de l'identité avec l'asservissement. Un peu comme les victimes de violences qui parfois s'enferment dans un cocon psychologique pour s'empêcher de perdre totalement pied.


Defred/Offred est un personnage désenchanté qui ne peut au fond rien faire de plus que de survivre au jour le jour. Que peut-elle faire à part "subir"? Pas grand chose. C'est là une vision intéressante et pertinente de la figure de "l'anti-héros" comme on pourrait qualifier la servante anonyme (jamais on n'apprend son prénom véritable). Elle est passive mais peut-on l'accuser de complicité pour autant ? Pouvons-nous juger en sachant que personne ne peut savoir comment il réagirait en pareille situation ? La tentative de prétendre "ah non mais moi j'aurais été résistant" est au mieux amusante de naïveté, au pire puérile.
Revenons à Defred/Offred. Elle se raccroche à des souvenirs de sa vie d'avant et avoue que petit à petit, le visage de Luke, son époux, s'évapore de sa mémoire. Triste réalité. Les flashbacks dispersés dans le récit donnent un aperçu (bien évidemment non exhaustif et forcément peu objectif) de la tournure des événements avec le putsch militaire et des fanatiques religieux. La perte graduelle de la liberté des femmes est glaçante et malheureusement vue et revue dans l'Histoire. Certains peuvent trouver cela poussif, moi je pense que c'est au contraire d'une nécessité absolue.


J'ai trouvé l'épilogue très intelligent. On assiste à une conférence dans un monde post-Gilead en compagnie d'Historiens débattant sur la réalité des événements ou non. On découvre que rien n'est moins aisé que de prouver que tout ce qu'on a lu jusqu'à présent était réel...ou si les conférenciers ne cherchent qu'à nous embrouiller. Le témoignage de la servante est ainsi lourdement remis en question, interrogeant le lecteur sur son esprit critique: que sait-on vraiment du passé ? Pouvons-nous vraiment nous fier à ce qu'on peut retrouver comme "témoignage" ? On peut également se demander si le sexisme a vraiment été éradiqué avec la chute de Gilead.


Margaret Atwood n'a rien inventé, elle a tenu à s'inspirer de faits réellement arrivés au cours des siècles derniers et c'est sans doute là que réside le point central de son oeuvre: une mise en garde perpétuelle sur la fragilité du statut des femmes dans le monde dans lequel nous vivons.


La Servante écarlate est une lecture nécessaire et importante, qui demeure encore et toujours d'actualité.

GeaiMoqueur
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le 30 mars 2020

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GeaiMoqueur

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