Il convient de préciser que l'ensemble de ce recueil a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire 2010 dans la catégorie Nouvelle Francophone, cela est suffisamment rare pour être souligné. Au fil des quinze nouvelles de ce recueil intitulé « Le Diapason des mots et des misères » paru chez Griffe d'Encre, Jérôme Noirez nous fait vivre des instants d'une grande noirceur non sans un certain grain de poésie qui donne à l'ensemble un goût inimitable, issu d'un imaginaire hors du commun.

La première nouvelle, intitulée « 7, Impasse des Mirages » nous emmène au XXe siècle dans un Maroc moderne, dans une de ces petites cités dont le pétrole du sous-sol est le seul intérêt qu'y trouvent les Occidentaux. Mais cette ville est à la frontière du désert et des créatures qui hantent l'outre-monde. Les souvenirs d'enfance peuvent alors revêtir l'aspect du cauchemar. Assez bizarrement, j'aime à penser qu'il y a un parallèle à faire entre ce texte et le « 3, Rue des Mystères » de Shigeru Mizuki qui a redonné une dimension aux esprits du Japon éternel : les yôkaï.

Avec « Bolex », c'est le cinéma qui entre dans le recueil, mais un cinéma bien particulier. En effet, que serait la mémoire, si on ne pouvait fixer certaines traces de la vie sur la pellicule, mais tout dépend comment on opère. « La Ville somnambule » commence par une scène d'autocastration. C'est dire qu'il faut être motivé ! Ainsi, dans cette Prague étrange, on a les fous d'un côté et les gens normaux de l'autre. Seule la nuit de Walpurgis permet aux sains de visiter les déments, mais où se situe cette frontière ténue qui vous fait passer de l'autre côté du miroir ? « Kezu, le gouffre sourd » est la présentation de ce moment où la vie peut basculer, dans l'imperfection ou dans la mort.

Pour « L'Apocalypse selon Huxley », déjà présente dans l'anthologie « Ouvre-toi ! » de chez Griffe d'Encre, il s'agit de l'histoire de deux routards défoncés qui traversent les Etats-Unis alors que le troisième compère passe l'essentiel de son temps à tirer sa crampe à la moindre occasion. Une nouvelle superbement déjantée comme je les aime. Retour à la noirceur avec « Nos aïeuls » où des enfants malades sont tourmentés par leurs ancêtres morts. La descente aux enfers se poursuit avec la « Berceuse pour Myriam ». Livré avec partition, ce court chant est là pour aider à s'endormir les enfants morts. Je ne sais quel tabou tente d'atteindre Jérôme Noirez au travers de cette série de texte, mais il est indéniablement une gêne qui naît chez le lecteur dès qu'il est question d'enfants morts. Allez savoir pourquoi.

« Feverish Train » nous est raconté par un contrôleur-inspecteur des chemins de fer. Il s'agit là de mettre la main sur un lémurien qui se cache dans ce train qui traverse un bayou plein de sauriens. Mais que faut-il retrouver sur ce trafiquant ? Là est le mystère. Une nouvelle décalée et réjouissante. Vient ensuite la nouvelle éponyme à ce recueil. Dans « Le Diapason des mots et des misères » nous écoutons la mélodie mortelle du diapason humain. Imaginez que votre voix soit portée par quelqu'un dont vous reproduisez les propos avec vos cordes vocales. Cordes sensibles, tendues qui, quand elles se brisent, peuvent tuer. Une nouvelle d'une grande créativité. Avec « La Grande Nécrose » nous visitons un monde où on place des macchabées un peu partout, histoire de dissuader les criminels de passer à l'action. Bien sûr, il convient de leur injecter de temps à autre un peu de liquide d'embaumement pour ne pas qu'ils sentent trop fort vu leur état de décomposition avancée. Et dans ce monde-là, nous suivons un professeur de solfège qui a la fâcheuse habitude de faire faire ses gammes à son élève mineure avec un tout autre instrument. Lorsqu'il va tomber entre les mains de deux policiers complètement décalés, les choses vont devenir encore plus hallucinantes.

« Maison-monstre, cas numéro 186 » est une chasse aux esprits frappeurs qui hante une maison. Surprenante à bien des égards, cette nouvelle est à la fois classique et assez drôle. En effet, la spécialiste missionnée est une jeune fille. Elle va être confrontée à un redoutable revenant, mais une surprise attend le lecteur. Tex Avery n'est pas mort et l'humour décalé est ici du meilleur effet. Avec « Stati d'animo », nous suivons un bonimenteur à la poursuite d'un passéiste. Le bonimenteur est un humain ordinaire à qui on a greffé des organes qui permettent la retransmission en direct de ses paroles sur tous les amplis de la ville. Est-ce qu'il réussira à punir l'impudent qui refuse de tourner la page du passé ? Une nouvelle novatrice et bourrée d'idées.

Les trois dernières nouvelles sont regroupées sous le titre générique de « Contes pour enfants mort-nés ». Délicieuse formule pour désigner ces petits êtres qui hantent durablement leurs géniteurs, eux, bien vivants. Avec « Shirley's Doll » nous retrouvons toute la magie des insectes qui donnent vie à des poupées abandonnées. Une belle revanche. Pour « L'Enfer des enfants pas sages », c'est une belle promenade dans les enfers où les tourments des enfants sont délicieusement cruels. Je sais que je suis un grand malade, mais j'adore cela. Enfin « La Leçon de piano » est une ravissante énumération des contraintes infantiles poussées dans un extrême dolosif. Trois petits contes crus et cruels, comme j'aimerais en lire plus souvent.

C'est Catherine Dufour qui offre une postface à cet ouvrage. Dans le ton, elle nous présente l'auteur et l'œuvre avec son ressenti que je partage sur bien des points. Enfin, et les éditions Griffe d'Encre n'y manquent jamais, l'illustrateur Aurélien Police nous est brièvement présenté. Il faut reconnaître que la couverture, comme souvent chez Griffe d'Encre, est particulièrement réussie et reflète l'univers que Jérôme Noirez nous présente. Une bonne lecture, une belle découverte, mais pour adultes pas sages uniquement.
Bobkill
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le 22 déc. 2010

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