Un roman tel que celui-ci me place devant le miroir de ma propre ambition littéraire et en m'y regardant avec sincérité et sans concession, je ne puis qu'admettre que je suis encore très loin de posséder cette maturité d'esprit qui me permettrait de véritablement en faire la critique. Avec humilité, je reconnais que ce roman, écrit par un lauréat du Nobel de littérature, est un superbe roman, un grand roman. Je déplore seulement de n'avoir pas encore la capacité d'entièrement l'apprécier comme tel.

L'adaptation cinématographique de David Lean est en bonne place dans mon Top 10 depuis toujours ; aimant tant le film, je me disais que lire le livre serait encore plus enrichissant. J'avais raison, le livre est 10 fois plus complet que le film mais, en contrepartie, son rythme est 10 fois plus lent également.

L'histoire est passionnante mais il faut vous attendre à être emporté(e) loin, très loin dans l'Histoire, dans les profondeurs de la Russie d'une part mais également dans les méandres de son histoire sociale et politique d'autre part. J'ai rarement lu un roman d'une telle complexité avec, parfois, la sensation que ça part dans tous les sens, qu'on est emporté au milieu d'un tourbillon de neige, qu'on perd son chemin, qu'on ne distingue plus personne dans le blizzard ! Et puis, tout à coup, deux chapitres plus tard, on retombe abruptement sur ses pieds, on se retrouve et on repère dans la foule des protagonistes des êtres qu'on connaît, certains sont même devenus familiers.

A lire les autres avis, il apparaît clairement que beaucoup de lecteurs sont désorientés par la multiplicité des patronymes russes et c'est vrai que ce n'est jamais évident, mais avec la littérature russe c'est un postulat de base, cela fait partie intégrante de l'identité russe, donc on ne peut pas le déplorer, il n'y a qu'à s'accrocher et s'y faire.

L'oeuvre en elle-même propose la biographie fictive de Iouri Andreïevitch Jivago, orphelin issu du milieu russe favorisé (ses parents étaient des notables, pas des moujiks), de la fin du XIXème siècle aux années 30. Bien que de formation scientifique, Iouri Jivago est un poète. Comme bien des intellectuels russes, son intérêt pour les arts, la poésie, la pensée sociale et philosophique et les sciences est exacerbé et est étroitement lié à la conviction tendrement patriotique que la Russie est une très grande nation de laquelle doit fatalement émerger une civilisation nouvelle et s'épanouir la toute-puissance d'un peuple profondément attaché à sa terre et à son identité.

***ALERT SPOILER***
Toute l'action du roman se situe à la période ô combien charnière entre l'ancienne Russie, celle de Pierre-le-Grand et de Catherine-la-Grande, des tsars, des armées cosaques, des moujiks asservis et des koulaks enrichis, et la Russie bolchevique, ayant opéré son renversement révolutionnaire, la mère-Patrie offrant en sacrifice ses enfants pour prix d'une utopie politique sanglante mais dite nécessaire. 1905, première révolution ; 1917, seconde révolution.

L'existence entière de Iouri correspond à cette période trouble. Jamais il n'aura connu de "vitesse de croisière" dans une vie entièrement chahutée et altérée par les évènements qu'il subit de plein fouet, avec sa famille, ses amis et ses amours. Son existence est une survivance, le continuel besoin de se mettre à l'abri et d'improviser les moyens de subsistance. Au quotidien, c'est l'instabilité et la précarité. Aucun repère, le risque omniprésent des renversements de situations, des séparations...

Et Lara dans tout ça ? Et oui, Larissa Fiodorovna, la blonde Lara incarnée à l'écran par la sublime Julie Christie ? Et bien Lara incarne quant à elle une autre condition humaine, plus pragmatique que celle de Iouri. Elle est femme et sera très tôt exposée aux épreuves réservées à son sexe. Elle est belle, elle déchaînera des passions, elle-même possédant un tempérament passionné.

Tout au long du roman, les destins de Iouri et de Lara, mais également ceux de nombreux autres personnages, vont se croiser et se décroiser dans l'immensité de la Sainte-Russie, de Moscou à Vladivostok, en passant par l'Oural et l'infinie taïga.

Le Docteur Jivago est le roman du malaise, celui des personnages principaux qui doivent s'adapter à une nouvelle société dont les leviers sont pour la plupart conformes à ce à quoi ils aspirent mais diamétralement opposés à ce à quoi ils ont été préparés par leur éducation, leur patrimoine intellectuel et leur nature profonde. Malaise également du côté du lecteur qui suit de près leurs efforts, souffrent avec eux des heurts continuels de leur existence et pressent au final qu'ils ne seront que les embryons avortés d'une société pas encore assez structurée pour leur laisser la possibilité d'y trouver le bonheur.

Je finirai en disant que le style de Boris Pasternak est magnifique, pas toujours évident à suivre ; oui, il faut souvent s'accrocher mais il s'en dégage toute la force et la poésie qui caractérisent si bien l'âme russe.

Amateurs de littérature "fluide" s’abstenir !
Gwen21
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le 13 mars 2013

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Gwen21

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