On peut assimiler Le cœur est un chasseur solitaire à un roman choral : au milieu de tous les habitants de cette petite ville anonyme du Sud des États-Unis des années 30 où se situe l'action, se détachent cinq personnages
Biff Brannon gère un restaurant avec sa femme, qui meurt subitement au début du livre. Après cet évènement, il continue sa vie aussi naturellement que possible, mais il est assailli intérieurement par la nostalgie et les regrets, notamment celui de ne pas avoir eu d'enfants.
Jake Blount semble passer sa vie à errer d'une ville à une autre, vivant de petits boulots et persuadé que sa mission est de parler au plus grand nombre de personnes de son idéal à tendance communiste, car il porte le lourd poids de ceux "qui savent".
Le docteur Benedict Copeland est un Noir d'âge mûr qui a une haute idée du combat que doit mener son peuple pour sortir du joug des Blancs, mais il s'est toujours butté à l'indifférence de ses proches, en particulier ses quatre enfants, qui sont partis au lieu de suivre les plans de carrière qu'il prévoyait pour eux et pour la cause.
Mick Kelly est une jeune fille de 13 ans qui ne rentre pas dans les cases qui devrait lui convenir, trop grande et pas assez féminine. Elle est passionnée par la musique et rêverait d'apprendre le piano, mais sa grande famille est trop endettée et elle doit se coller sous les fenêtres des voisins pour capter quelques programmes radio. Il semblerait qu'elle soit une projection de l'auteure dans son roman.
Enfin, celui autour de qui gravite tous les autres, John Singer. Installé dans la pension des Kelly, il attire l'amitié de chacun des 4 autres, qui le visitent régulièrement pour lui parler, se dévoiler, ouvrir leurs cœurs sur leurs combats, leurs échecs, leurs désillusions, et tous sont persuadés qu'il les comprends et les aide activement. Il faut préciser que Singer est sourd-muet, et bien qu'il lise sur les lèvres assez correctement, il ne comprend pas toujours ce rôle de super-messie qui lui est accolé.


Le roman alterne la narration entre ces cinq-là, sur une période d'environ un an, retraçant à la fois leurs vies passées que leurs combats actuels, leur volonté d'aboutissement et de reconnaissance. Singer se détache encore du groupe car sa seule motivation est l'amitié pour un autre muet, avec qui il habitait, Antonapoulos, et qui a été interné. Il va le voir à chacun de ses congés, et son absence n'est acceptable que grâce à la compagnie de ses étranges admirateurs, à qui il ne demande rien mais assiste patiemment et aide par des regards silencieux ou quelques brefs conseils glissés sur un papier.


Petite parenthèse sur la forme : l'édition que j'avais pour lire ce texte, qui semble être toujours celle en vigueur au Livre de poche, est excessivement désuète, rempli de termes et de tournures qui font peut-être un peu trop 1930, comme si la traduction exagérait le côté un peu daté du style. Heureusement, ce n'est pas le style de toute façon qui fait le point fort de ce livre, mais bien le portrait de chaque personnage (plus les nombreux personnages secondaires, en tête Portia, Bubber, Harry ou le vieux Simms), qui tente tous à leur façon de s'extraire de leur vie qui parait assez mal partie ; et McCullers réussit à rendre une ambiance très particulière, en prenant le temps d'installer les histoires et les parcours, en dévoilant un peu pour sous-entendre deux fois plus. Bien qu'au final on ressorte sans grande révélation, sans dénouement philosophique intense sur la vie, les humains et le reste, on se laisse prendre par le charme doux amer de ces pages, et il me reste encore en tête, quelques jours après ma lecture, les teintes sépia qui entoure les rêves de Mick et la musique du poste de TSF qu'elle écoute en cachette.

Florentin
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le 9 avr. 2015

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