Lorsque j'ai découvert "Les Liaisons Dangereuses" à l'adolescence, je l'avoue, j'y suis allée à reculons. Je n'aime pas vraiment les romans épistolaires.
Simple question de goût, je trouve ça plus factice qu'un récit à la première personne ou un narrateur extérieur.
Néanmoins, cette oeuvre, avec quelques autres comme le Dracula de Bram Stocker, me font mentir.
Je les aime beaucoup et en plus je trouve que le système fonctionne parfaitement dans ces contextes.

Les Liaisons Dangereuses, en filigrane de ses échanges libertins et pleins d'esprit, dresse le portrait d'une société pourrie aux moelles mais dont la rédemption n'est pas hors de question.
Je fais bien sûr allusion aux deux plus grands pignoufs de la littérature française à savoir Merteuil et Valmont.

Par touches subtiles et grâce au style épistolaire, qui est profondément subjectif, Laclos nous entraine dans les alcôves les plus privées de l'aristocratie qui se croit tout permis. Bien sûr, chaque personnage a son opinion personnelle sur les évènements, mais en croisant les informations, le lecteur arrive à se faire une idée claire de la situation.
Le seul bémol à mettre sur ce croisement des informations, c'est la dernière lettre, nous informant du destin honteux de la Marquise de Merteuil. Elle est écrite par l'un des personnages les plus crétins de tout le livre, Mme de Volange. Une oie sans cervelle qui suit le troupeau, qui n'a pas une pensée qui lui appartienne et qui bien sûr ne fait que rapporter les rumeurs. Mme de Merteuil est-elle si défaite que ça au final? C'est au choix du lecteur, mais son exil, certes forcé par une société obtuse, obsolète et hypocrite, n'est-il pas une échappée vers la liberté (au siècle des lumières la Hollande est un pays de liberté) plus qu'une fuite la queue basse? Je tends à penser que la Merteuil n'est pas vraiment satisfaite de cette situation car il est clair que si elle méprise sa société et sa caste, elle tient tout de même à son statut social.
Même si je n'aime pas la Merteuil, dont la froideur arctique me gèle le cœur, je suis néanmoins plus encline à être de son côté que de celui de Valmont, gros minable séducteur, pompeux et superficiel qui n'use de son intelligence que pour séduire des femmes dont il n'a pas vraiment envie et souffrant au final d'un complexe d'infériorité assez pathétique. Au moins, Merteuil a-t-elle un cerveau et sa vengeance, bien que puérile, est celle du sexe dit faible sur le sexe dit fort au bout du compte.
Elle tient Valmont par la bredinguette, comme disait mon arrière-grand-mère, et lui fait séduire Cécile, jeune oie blanche pas très maline pour se venger de son jeune amant qui l'a délaissée, elle, la femme d'esprit, de culture et de connaissance, pour un modèle plus jeune mais qui n'a pas du tout les mêmes options. Conte vieux comme le monde, s'il est est.
Faisant un chantage sexuel d'une froideur alarmante, elle lui fait séduire la dite Cécile, ne se faisant aucune illusion ni sur les hommes ni sur les femmes.
Au fond, la Marquise hait Valmont pour ses succès, pour ses avalanches de lettres sans profondeur, pour son désir pour elle qui ne trouve sa source que dans le défi de l'avoir et pas dans un désir réel.
Mme de Tourvel est donc un défi tout trouvé pour rabattre le caquet de cet incessant vantard.
Haaaa, Mme de Tourvel, la vertu incarnée, l'ennuie, le rien.
Mais Laclos, dont le personnage principal est une garce, lui donne tout de même une bonté qui la rend attachante. Mme de Tourvel est vraiment ce qu'elle est. Dans ce monde de faux-semblants où la vertu et l'honneur ne sont que de façade, où le désenchantement, la dégradation et la déchéance sont fardés à outrance, Tourvel ne feint pas, même avec Valmont.

Ce qu'il y a de plus fascinant c'est le changement très net de style d'écriture entre chaque auteur de lettre. Chacun a sa propre voix, son propre rythme, sa propre sémantique et bien sûr, sa propre manière de voir les choses.
C'est peut être la meilleure utilisation et exécution du style.

D'autre part, Laclos, sans le savoir, annonce la révolution, comme beaucoup d'autres de cette période. L'aristocratie vérolée qui se dirige vers sa destruction par excès de confiance en son bon droit.
C'est à la fois Merteuil malgré ses penchants féministes assez modernes, et Valmont dont le destin tragique qui préfigurent la chute.
Pas que Laclos soit conscient de cette prémonition, bien évidemment.

Il nous entraine dans les recoins sombres d'âmes damnées et coupables. Que ce soit conscient ou pas. Volange et sa légèreté aveugle n'est-elle pas aussi coupable que Merteuil avec ses manigances intelligentes?

Au final, Laclos signe un portrait brillant d'une classe moribonde et crée avant tout des personnages d'une profondeur insondable car au final, ce sont des lettres que nous lisons, le récit choisi par le personnage. Est-ce réel? Est-ce franc ou bien chaque mot n'est-il qu'un mensonge parfait?

Brillant, vous dis-je!

Anilegna

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