Voilà ce qui s’appelle une prose enchaînée dans le langage, à un point tel qu’on y perd un peu son latin. Une chose est sûre, plus personne n’écrit comme ça, et il n’est pas sûr que le « vrai » courrier de l’époque le fut. Passé simple. Je ne suis plus coutumier du subjonctif, que j’ai laissé loin derrière moi. Donc quand la marquise de Merteuil dit à Danceny : « …que vous me distinguassiez» ça me fait un peu peur. Ou un peu rire. Et ça, c’est de l’imparfait du subjonctif, non ? Attention ça va faire mal : «…je n’aurais pas voulut que vous le vissiez aussi »  Oh la la la la. Langage fleuri et brodé avec, avec, avec des fils de soie, si tu comprends pas, va réviser, prends ton BLED. Ou retourne à la campagne, au bled... On tourne plus que cette fois autour du pot, avant d’aller au but dans ces lettres là. Point virgule, deux points, ouvrez les guillemets, fermez les guillemets. Du lourd. Plus de sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Et même si il y a des sauts hors des conventions, des trucs de jeunes : des onomatopées, des cris, et de l’apostrophe théâtrale. Je lis des : (Ah !) des (Oh !) mais jamais on ne se marre ici. Je lis des : (Eh !) aussi. Est-ce que cela rend cette langue là plus vivante ? Oui et non. Vivante comme une statue taillée dans du marbre blanc. Moralité. Si vous avez vu les adaptations cinématographiques avant de lire ce livre, et que vous voulez voir du cul, retournez voir les films. On n’est pas chez De Sade ici.


  Alors question. Ils parlaient vraiment TOUS comme ça à l’époque ? J’ai des doutes. Avec autant de détours, vallées, cours d’eau, arguments, contre argument, attaque, défense, un vrai procès. On pleure beaucoup chez De Laclos. Le vice pleure, la vertu pleure. « L’attendrissement devint général …» Danceny pleure après avoir tué Valmont. On se laisse facilement transporter par le chagrin, mais on n’a aucune pitié. Si on n’est pas fan de littérature française du XVIIIe siècle, on n’arrivera pas à la lettre XVIII. Lettre de confort, où Cecile écrit à sa copine Sophie pour lui dire qu’elle est bouleversé parce que son amoureux transi,  le prude Danceny lui a dit « Ah ! Mademoiselle !... » en lui accordant sa harpe. La vertu.


  On peut être vite lassé par toutes ces tournures, aux entournures, à n’en plus finir. Il ne faut pas se mentir, c’est rude à lire, et toutes ces ornementations, et cette dialectique, ça fait encyclopédie sous un voile romanesque. Un côté précieux, pas ridicule mais mondain. Par moments, j’ai eut envie de remplacer Valmont. Lui prendre la plume des mains, la tremper dans l’encrier, et envoyer la seule lettre qui vaille la peine après tous ces préliminaires ennuyeux :


 LETTRE CXXV (bis)


Le vicomte De Valmont à la marquise De Merteuil


  Marquise, quand est-ce qu’on baise ? Eh ! Oh ! Ça fait un moment que j’attends, c’est bon là ! Oh !


                                                                                        Paris, ce 29 octobre 17**


   Blague à part, De Laclos me rend la pareille quelques lettres plus loin, avec le billet le plus court, et le plus impressionnant de tout le roman. Le cinglant : «  Hé bien ! La guerre » par lequel se rompt le pacte de non agression entre Merteuil et Valmont. Le plus beau moment du roman, mais il faut en suer avant d’arriver là. Trop écrit, trop intellectualisé, trop lointain, trop, trop, trop bla bla.


  La maîtrise est évidente, les passions humaines décortiquées au scalpel, mais bien peu de « chair », pour un lecteur d’aujourd’hui, plus amateurs de détails affriolants que d’expectative. On nous prévient dès la quatrième de couverture d’ailleurs: « Il se peut que l’impeccable (implacable) maîtrise de ce roman par lettres nous soit devenue lointaine » C’est le cas de le dire !  Lointaine, le mot est faible. Roman que l’on va apprécier si et seulement si, on est fan de cette littérature là. Si on arrive à dépasser la barrière de la langue, on pourra voir dressé le tableau d’une société de privilégiés, jouissive, insouciante, vorace, ou pieuse, dans ces principes comme dans ces préjugés, comme si le temps c'était arrêté. Et la morale tournée en ridicule, prête à s’effondrer sur elle-même, aussi.


    Les lettres, billets intimes, et cette correspondance archi développée, est prétexte à l’étude des mœurs de cette société dans ses moindres détails, avec le savoir-faire d’un entomologiste. Et quelques péripéties vulgaires, nous ramène au théâtre, et nous révèle le vrai fond des personnages. Vulgaires, en vérité, malgré les titres et noms ronflants. Et pour peu que je continuasses…humppf ! Je rajouterai que le roman par lettres, malgré l’originalité du support, la focalisation interne absolue, c'est intello, c'est limité en termes d'expression, il y a logiquement peu d’action. Par contre, le fond….Oh là !


   Pour la culture générale, à lire. Roman épistolaire culte, et complexe comme pas un. La puissance du verbe couvre les sentiments sous un joug nouveau, et les éclaire d’une lumière spectrale, par très aveuglante, les travers des humains semblent purifiés à travers le langage, et son exigence de précision, et sa science grammairienne. Un peu aveuglant tout ça. Mais un gars qui se donne autant de mal pour parler de la bagatelle, en la hissant sur des hauteurs respectables, c’est très fort.

Angie_Eklespri
8
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le 4 mai 2016

Critique lue 285 fois

Angie_Eklespri

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