Il est vrai que je ne suis pas doué pour écrire ; on me l'a fait savoir, on m'a traité de fort en thème : j'en suis un ; mes livres sentent la sueur et la peine, j'admets qu'ils puent au nez des aristocrates ; je les ai souvent fait contre moi, ce qui veut dire contre tous.
Raison pour laquelle on devrait découvrir Jean-Paul Sartre d'abord par ce roman autobiographique publié en 1964.
Idealiste et membre d'une famille pieuse, il est orphelin d'un père et, finalement, délaissé de tous. Il décide d'être optimiste malgré tout. On voit bien dans Les mots que Sartre n'était pas prédestiné à devenir Sartre et qu'il a été amené à se choisir.
Roman magnifique, particulièrement lorsqu'il nous raconte le Jean-Paul Sartre qui apprend à lire, qui vit ses premières expériences littéraires et par là même se libére et apparait au monde...
Contrairement au style dégueulasse de La Nausée (1938), Les Mots brille par sa grande qualité littéraire. On ressent parfois l'esprit rigide de Sartre mais trop peu pour ne pas voir ici un changement radical dans son attitude.
Les Mots vaut donc pour moi davantage par le style que par l'histoire à proprement parler d'un homme en quête de son authenticité. D'ailleurs peut-être que pour Sartre ce roman ne visait pas tant à se raconter...
En effet Les mots vaut aussi bien plus pour moi parce qu'il est un choix, une conquête. Celui d'un homme hanté par son passé, par l'absence accablante d'un père, par la transparence étouffante de sa mère et par l'emprise tyrannique d'un grand-père qui l'aura spolié en projetant chez lui sa frustration d'avoir échoué lui-même. Pour ce dernier Sartre ne saura jamais écrire et ne sera jamais écrivain.
Peut-être contre tout mais d'abord contre tous, Sartre veut donc parler. Étant dans l'ombre de sa famille, dans celle de ses amis, dans celle aussi des auteurs qu'il idolatrait enfant, Jean-Paul Sartre veut et réussit à s'exprimer en gravant et en sculptant ses mots à la manière des grands écrivains. C'est à dire ceux qui ont laissé une trace indélébile autant par leur œuvre que par leur style. Les Mots est un roman passionant en soi mais aussi par sa forme, par sa transtextualitté (ici méta- et inter-) et sa symbolique (tout ceci en tant que Sartre a été un fondateur de l'existentialisme) qui, elles, ont plus de valeur encore. Autrement dit Sartre défend sa conception de l'existentialisme non pas tant au-dedans qu'au-dehors de cette autobiographie.
Sartre écrit cet ultime roman pour arracher, signifier et promouvoir sa liberté. Et c'est, je trouve, une belle victoire. Une victoire qui depasse d'ailleurs en tout le poids du prix Nobel de littérature qu'il refusa la même année. Pour lui comme pour nous.
Je me disais parfois que je serais sauvé de l'oubli par mon « style »
Post-Scriptum : "Engagement dans la littérature et engagement de la litterature dans le combat politique constituent en fait deux faces d'une même problématique sartrienne et que l'auteur ne les a jamais dissociées de sa reflexion" -> Politiques de l'autobiographie chez Sartre