Que faire quand on n'a pas adulé Harry Potter durant son enfance ?

Voilà une question bien fâcheuse qui bien souvent annonce des yeux exorbités de surprise chez mes interlocuteurs quand ce n'est pas une indignation profonde suivi d'un "QUOI ?" rhétorique et sonore. Voyez-vous cher lectorat peu nombreux, il n'est jamais facile de vivre son indifférence pour ce qui est considéré aujourd'hui comme l'un des livres les plus vendu de tous les temps. Pourtant, ce n'est pas faute d'y avoir jeter un œil curieux et m'être soumise à la pression sociale mais rien à faire, Harry Potter ne m'a jamais intéressée au-delà du chapitre 9 avant de moisir dans un coin de ma chambre.


Puis un jour, ma mère m'a ramené cet étrange ouvrage qui semblait en tout point similaire à l'histoire du fameux petit sorcier. Une jeune fille qui se découvre des pouvoirs magiques surpuissant et qui se retrouve au cœur de machinations démoniaques et autres complots politiques, le tout avec un manque de sérieux désopilant. Il est certain qu'à dix ans, cet univers complètement barré et absurde m'a bien plus séduite mais quand est-il douze ans plus tard ?


Laissez-moi me perdre en conjecture pendant un paragraphe. N'est-il pas difficile de critiquer une œuvre lorsque l'on n'a plus l'âge d'en être le cœur de cible ? En parcourant rapidement les diverses critiques de cette page, c'est la question qui m'est venue en tête car très souvent les remarques que j'ai pu lire, fondées ou non, sont celles d'adultes avec des considérations d'adultes. C'est une certitude que lorsque j'ai lu pour la première fois le livre, mon appréciation ne s'est pas faite sur sa qualité littéraire ou son "manque de sérieux" tout simplement parce qu'un lecteur de dix printemps n'a pas nécessairement ces attentes en tête. Seulement voilà, lorsque je l'ai relu récemment, oui effectivement, les qualités stylistique de l'auteure laisse parfois à désirer et ses "ficelles" narratives sont parfois un peu faciles mais comment peut-on soulever des défauts qui sont invisibles pour le cœur de cible d'une œuvre et est-ce vraiment pertinent ? À défaut de trouver une réponse à cette question, résumé !


Tara Duncan est donc une jeune pré-ado tout à fait ordinaire qui vit dans un grand manoir avec sa grand-mère, la sinistre Isabella. Tout se passe pour le mieux jusqu'à ce que Tara comprenne que non seulement elle possède un don formidable pour la magie mais en plus de ça la moitié d'Autre Monde, le continent des êtres magiques, cherche à s'emparer de son pouvoir ou se venger d'elle pour des raisons... plus que discutables. Mais parce que c'est un roman jeunesse, notre héroïne sera accompagnée par une bande de potes hauts en couleur et au caractère bien trempé.


J'écrivais dans une autre critique que le problème de la fantasy destinée à un jeune public, c'est que les auteurs savent rarement sur quel pied danser, oscillant entre un sérieux ridicule et des simplifications réductrices. Bien souvent, de la même manière qu'il m'est difficile de donner mon appréciation de Tara Duncan, on se fait en tant qu'adulte, des tonnes de préjugés sur l'adolescence et ce, même si on en sort tout juste.
On entend souvent dire que J.K Rowling a réalisé un tour de force majeur avec Harry Potter: défaire l'idée que les enfants n'aiment pas les livres trop longs et j'ajouterai à cela qu'il faut savoir que Tara Duncan a en fait été rédigé bien avant Harry Potter mais n'a finalement été publié que lorsque le célèbre sorcier britannique a commencé à percer. J'arrêterai la comparaison ici parce qu'il n'y a nul besoin de comparer les deux tant leurs formes et leurs fonds diffèrent. Si Rowling a favorisé le sérieux de son histoire tout en la complexifiant progressivement, Audoin-Mamikonian s'est chargée de faire l'inverse, c'est-à-dire mettre en avant l'absurde pour mieux faire avaler le "sérieux".


Car Tara Duncan ne se limite pas à des petites blagues de bas-étage et autres "facilité d'écriture". L'auteur est diplômée en stratégie et diplomatie et ça se sent dans des passages très précis où la politique d'Autre-Monde est savamment explorée et diablement proche de la politique mondiale. Exemple notable, les grands ennemis de Tara, les Sangraves, sont des sortceliers entraînés à une magie puissante par les dragons afin de vaincre les démons. Mais une fois la guerre terminée, les Sangraves, forts de leurs pouvoirs se sont retournés contre les dragons afin de ne plus subir le joug de ceux-ci et mettre au centre l'espèce humaine. Moi perso, ça me fait penser aux Américains qui payent des factions aux Moyen-Orient pour vaincre le communisme et qui se prennent un retour de flamme avec le terrorisme. Tout cela pour dire que derrière cet aspect "bon-enfant" rieur, le livre est parsemé d'aspects qui complexifient l'histoire, même si ceux-ci sont parfois un peu trop voyants, mais il n'en reste pas moins que c'est toujours aussi appréciable à la relecture.


Je me souviens que lorsque j'étais enfant, je ne pouvais pas m'arrêter de lire ces bouquins jusque tôt le matin une fois que j'avais englouti la moitié car, à la première lecture, Tara Duncan est bourré de suspens. Je pense que l'auteure à sciemment "descendu" le vocabulaire et le style pour ne pas rendre l'histoire trop dense et privilégier au maximum l'avancée de celle-ci. Je ne m'ennuyais pas une seule seconde à l'époque et encore aujourd'hui, malgré la tonne de dossier que j'ai à rendre, je les lis en une semaine grand maximum, signe que je ne peux toujours pas les lâcher. Oui parfois je grince un peu des dents mais je peux difficilement lui en vouloir; non pas par nostalgie mais parce que c'est sa simplicité qui en fait tout le sel. Quand tu t'es mangé les digressions de chercheurs en sciences sociales toute la journée, quel plaisir de se mettre sous la couette et se laisser porter par un style familier mais rudement efficace. Car en le relisant, en sachant à l'avance le dénouement, on se rend compte de la logique cruelle de l'histoire et ce, dès le premier tome. Même si l'on peut croire à un joyeux bordel qui cherche en permanence à se justifier, la réalité est tout autre. Je ne peux pas spoilé outre mesure mais j'aimerai simplement dire que l'évolution d'un personnage en particulier, qui m'est apparue comme incongrue quand j'étais plus jeune, m'est aujourd'hui tout à fait limpide tant l'auteure laisse présager en permanence de ce twist futur.


Si je dois répondre à ma propre question, je dirais que l'on peut critiquer un livre qui ne nous est plus destiné en se basant sur un seul critère: A-t-il grandi avec nous ? Le relire donne-t-il à voir une nouvelle perspective que l'on ne pouvait saisir complètement la première fois ?
Pour moi, si Tara Duncan a effectivement "mal vieilli" sur certain aspect, il n'en reste pas moins que j'y trouve aujourd'hui un émerveillement nouveau, pas complètement étranger à mon regard juvénile.

Thepunkowl
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le 4 déc. 2018

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Engy Near

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