Un roman vrai sur un personnage incroyable.

« Marie Curie prends un amant » était depuis un petit moment dans ma liste de lecture. Je crois que j’avais été attiré par le titre, autant par « Marie Curie » que par « prends un amant », mais que j’avais un peu peur du coté « biographie »... du coup, il a longtemps stagné en milieu de pile. Et puis un jour, c’était le bon jour, et je m’y suis mis... et je dois avouer un vrai coup de cœur pour ce livre.


Le point de départ, c’est un petit livre déniché chez un bouquiniste. En fait, 2 fascicules reliés, 2 numéros d’une revue d’extrême droite datant de fin 1911 et consacrés au « Scandale Langevin-Curie ». Je ne connaissais pas cette histoire Paul avait été l’élève de Pierre, il était marié, mais mal marié, et même battu... Mais en 1911, Marie, veuve depuis quelques années déjà, et Paul aurait eu une histoire d’amour... qui s'est terminé par ce scandale.


De ce point de départ, et grâce à un travail de recherche incroyable, Irène Frain raconte une histoire vraisemblablement assez fidèle à la réalité. L’enquête tient autant à un travail de journaliste que d’historien. Il a fallu, bien souvent, passer par des voies détournées car on manque cruellement de traces (Marie Curie a détruit beaucoup de documents, elle a aussi demandé à ses amis de faire de même. Pas beaucoup plus de traces aux RG où les dossiers des protagonistes ont été souvent expurgés).


J’ai été particulièrement impressionné par l’analyse ingénieuse des carnets de comptes de Marie Curie et de ce qu’elle a pu en tirer comme conclusions. En effet, Marie a toujours accordé une importance à sa comptabilité : elle gardait trace de toutes ses dépenses. D’abord dans de petits carnets qu’elle gardait avec elle, puis dans des livres où elle recopiait au propre et vérifiait. Ces carnets existent toujours et Irène Frain les a analysé sous un angle statistique pour les faire parler.


À cela s’ajoute un remarquable travail de bibliographie, des visites sur les lieux, l’analyse de quelques photos, de la presse de l’époque.


La lecture est passionnante. On apprends énormément sur la vie de Marie Curie. Son arrivée en 1891 pour faire ses études à Paris (elle logeait dans mon pâté de maison, vous y croyez ??), sa rencontre avec Pierre qui, comme elle, ne vivait que pour la Sciences et avait fait vœu d’y consacrer sa vie... Rencontre incroyable tant ils partagent de choses : la défense de Dreyfus, la croyance dans le progrès, dans l’éducation du peuple, dans la justice sociale, la défense des droits des femmes, la probable instabilité des atomes... Ils s’unissent, autant en tant que Marie et Femme, que pour leurs recherches. Ils auront d’ailleurs quatre enfants : deux filles, Irène et Ève, une petit garçon mort quelques heures après sa naissance et, enfin, le radium (Marie l’appellera toujours son « enfant »)


1903, leur premier prix Nobel, la première fois qu’il sera remis à une femme... Et ne première campagne où une certaine presse l’accuse de n’être que l’inspiratrice de son mari, son assistance dévouée... forcément, une femme... polonaise de surcroit.


Puis c’est la mort de Pierre, une période douloureuse mais Marie s’en sortira forcément. Elle a son travail, elle a la Science, elle a aussi une incroyable force de caractère. Et puis elle a aussi nombre d’amis qui lui sont dévoués. Puis ce sera son refus de la légion d’honneur (ce qui est bien plus compliqué que de l’accepter), sa tentative pour se faire élire à l’Académie des Sciences (les salles de la coupole sont, jusque là, interdites aux femmes... mais ce n’est qu’une tradition, rien n’est inscrit dans les règlements) et une nouvelle campagne dénonçant la femme, l’étrangère, qui travaille.... Le Figaro titrera à propose de cette affaire : « Nous avons déjà plus de femmes de lettres qu’un pays civilisé ne peut en supporter. Que les dieux favorables nous épargnent une génération de femmes de science »


Marie est une femme incroyablement forte, elle surmonte tous les outrages, ferme et fière. Mais l’affaire Langevin Curie, au moment même où elle est pré sentie pour un second Prix Nobel (elle est à ce jour la seule à en avoir reçu deux, dans deux matières différentes qui plus est !), est incroyablement dure. C’est un vrai lynchage médiatique, elle est agressée, on lui demande de rentrer en Pologne...


Bref, je vous en déjà dit beaucoup, désolé, mais j’ai du mal à m’en empêcher.


Je rajouterais que, si la vie de Marie Curie est si passionnante, c’est aussi grâce à tous les personnages secondaires tous plus intéressant les uns que les autres. L’auteur note à un moment que lors d’un diner chez les Langevin, il y avait pas moins de 5 futurs prix Nobel autour de la table. Et ceux qui ne seront pas Nobel sauront se distinguer : Jean Perrin qui fondra le Palais de la Découverte et le CNRS, Marguerite qui fondera le prix Femina... C’est ça le petite bande de Marie, et Irène Langevin a su merveilleusement en traduire l’énergie bouillonnante. Comme elle a su donner un aperçu de l’incroyable aventure du 1er congrès Solvay où, pendant 4 jours, à Bruxelles, Marie et une vingtaine d’autres physiciens, dont Albert Einstein discutent de la nature profonde de la Nature, ouvrant la voie à la physique moderne en acceptant comme valable la théorie de quantas.


Aujourd’hui, personne ne se souvient de ce scandale. Marie Curie est une icône. Depuis 1995, ces cendres et celles de Pierre sont au Panthéon (celles de Paul Langevin aussi).


Sa fille Irène gagnera également un prix Nobel. Son autre fille, Éve, avait coutume de dire en riant qu’elle était la honte de la famille Curie car elle n’en avait pas... mais elle a eu une vie incroyablement riche également (son mari a eu un prix Nobel d’ailleurs).


Enfin, dernière revanche posthume pour les 2 amants, en 1948, Hélène Joriot, petite fille de Marie, épousa Michel Langevin, petit fils de Paul...


Bref, une histoire vraiment passionnante, écrite dans un style journalistiques particulièrement adapté. Un roman vrai sur un personnage incroyable.

zemoko
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le 8 avr. 2017

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Arnaud Malon

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