Premier roman du rappeur Gaël Faye et quel roman !
Il a compris tout ce qu'il fallait mettre pour que ça fasse un vrai premier roman, avec son univers, son caractère et sa force. C'est-à-dire que dès le début on est bercé par l'atmosphère africaine recréée par un champ lexical rappelant son continent d'origine : on a le soleil, la chaleur, on a les animaux (le crocodile, le touraco vert, le mamba vert, les dendrocygninés et j'en passe), on a les plantes et les arbres (sorgho, grevillea, bougainvillier, kapokier etc.), on a le zamu, la barza, l'abacost, le pili-pili, on a "la rivière qui coule au fond de son jardin, marron et visqueuse comme un python de Seba". Bref, on a vraiment tout pour s'immerger dans l'univers (réel) que nous décrit Gaël Faye.
Cependant le livre n'en reste pas là, c'est plus qu'un roman simple et efficace. Car c'est d'abord remarquablement bien écrit, si bien que je ne résiste pas à citer deux petits extraits.
Le premier extrait, c'est la mort d'un crocodile avec la magnifique idée d'inclure le pluvian d'Egypte dans le récit de cette mort :
« Dans le viseur de son arme, Jacques a aperçu le crocodile sur un banc de sable. Gueule grande ouverte, il profitait d’un bain de soleil en ce début d’après-midi. Un pluvian d’Égypte lui nettoyait méticuleusement les dents. Quand Jacques a tiré, un groupe de dendrocygnes s’est envolé par-dessus les roseaux bordant la rive. Le coup a fait un bruit sec de bois qui craque. Fauché dans son repos, la bête a à peine eu le temps de bouger. Sa mâchoire s’est refermée au ralenti. Le pluvian a sautillé quelques instants autour de son ami, comme pour lui rendre un dernier hommage, et s’est envolé au loin pour prendre soin d’une autre gueule de crocodile. »
Le deuxième extrait, c'est le protagoniste du roman, Gaby, qui veut impressionner ses amis en sautant du haut d'un plongeoir de 10m :
« Depuis le sommet du plongeoir, je voyais Bujumbura, et la plaine immense, et les montagnes immémoriales du Zaïre de l’autre côté de la masse bleue du lac Tanganyika. J’étais nu au-dessus de ma ville et une pluie tropicale glissait sur moi en lourds rideaux, me caressait la peau. Des reflets d’arcs-en-ciel argentés flottaient dans les nuages tendres. J’entendais la voix des copains : « Vas-y, Gaby ! Allez, Gaby ! Allez ! » La peur revenait. Celle qui s’amusait à me paralyser depuis toujours. J’ai tourné le dos au bassin. Mes talons étaient maintenant dans le vide. J’ai pissé de trouille, le liquide jaune s’enroulait comme du lierre autour de ma jambe. Pour me donner du courage, j’ai poussé un grand cri de Sioux dans le raffut de cascade que faisait la drache. »
Enfin sur le fond, c'est tout aussi réussi. Le roman gagne en intensité au fil des pages, vire au drame lorsque la guerre éclate au Rwanda, puis illustre si bien, en fin de récit, le cruauté et la complexité des rapports humains inévitablement amenées par la guerre.
Un roman qui se lit presque d'une traite car on ne s'ennuie pas une seconde. Pour son premier roman, Gaël Faye y a mis ses tripes mais aucune prétention, et c'est superbe !