La première fois que j’ai entendu parler de Gaël Faye, c’était sur Youtube. Tu sais comment c’est Youtube, tu lances une chanson, puis une autre, encore une autre, t’oublies d’aller te coucher et 3 heures après, tu te retrouves en train de regarder un chat faire du ski sans trop savoir pourquoi. Mais ce jour-là, au fil de mon surf musical, je suis tombé sur un morceau acoustique live qui s’appelait « Ma Femme ». Un mélange de rap, de hip-hop, une rythmique africaine et une déclaration d’amour comme je n’avais encore jamais entendu. J’ai été séduit par la plume et l’interprétation du chanteur. Du coup, j’ai décidé d’écouter l’ensemble de ses titres. J’ai passé deux heures, les larmes aux yeux, à prendre claque sur claque. Un morceau en particulier a résonné en boucle. Petit Pays. Un chant d’amour pour sa terre natale, le Rwanda, qu’il a du fuir suite au génocide de 1994, son exil loin de ses racines, les souvenirs, la tristesse et l’espoir de revenir un jour. Cette chanson ne pouvait que me toucher, moi qui suis parti de Colombie en 1992, déraciné, sans cesse en proie aux doutes et aux questionnements, je ne pouvais que comprendre et ressentir pleinement la chanson. Quelques mois après cette découverte, alors en pleine écriture de mon premier livre autobiographique, j’apprends que Gaël Faye sort son premier roman, « Petit pays », inspiré de son enfance. J’ai couru l’acheter.
« Petit pays » est un roman qui flotte entre deux continents. C’est le récit d’un pays qui se déchire, en même temps que le bonheur, c’est le récit d’une guerre civile qui a tué l’innocence du narrateur bien trop tôt. Le récit débute avec Gabriel, exilé depuis 20 ans dans la région parisienne, perdu entre deux rives, ne sachant pas qui il est. Le matin de ses 33 ans, il reçoit un coup de téléphone qui le pousse à entreprendre, enfin, un voyage vers son pays natal et tente de redonner vie à son passé en se remémorant ses souvenirs d’enfance. A travers la plume de Gaël Faye, j’ai ressenti la poussière des rues et la fraîcheur de la rivière. J’ai entendu le bruissement des feuilles et la musique des soirées par jour de fête. J’ai imaginé la joie des enfants qui volent les fruits dans les jardins et la peur de se faire attraper. J’ai saigné quand les corps sont tombés. Et surtout, j’ai ressenti au plus profond de ma chair le cri de la terre qui rappelle à elle ceux qui y sont nés et la tristesse de ceux qu’on abandonne. « Petit pays » est un premier roman sensible et tendre, qui jongle avec finesse entre l’humour et la poésie. Un roman qui évoque toute la diversité et le charme de l’Afrique, cette dualité entre les habitants et ces guerres fratricides. C’est un récit qui oscille habilement entre l’innocence de l’enfant et l’horreur de la guerre, sans jamais tomber dans un excès de voyeurisme ou de pathos exacerbé. L’écriture de Gaël Faye est comme dans ses chansons. Maîtrisée, imagée, poétique et d’une subtilité mêlée à une maturité qui ne peut laisser personne indifférent.
En refermant le livre et en écrasant une larme qui se promenait sur ma joue, j’ai pensé à moi, à mes 29 ans, à mon quart de siècle passé en France, à mes 4 premières années en Colombie, à toutes ces questions sans réponses et qui resteront à jamais posées dans le vide, avec l’écho comme seul témoin de mon existence. J’ai pensé au livre que je suis en train d’écrire et que je n’ose pas avancer, à cet enfant qui attend de grandir entre les pages et qui attend patiemment que je vienne l’aimer pour pouvoir vivre enfin en paix avec moi-même. Gaël Faye a réussi là où je n’ai pas encore osé aller. Il a affronté son enfance, ses douleurs, ses propres doutes et il en est ressorti vivant.
Vincent Lahouze