Un livre un peu intriguant, que l’on me prête sans beaucoup d’explications : quelques phrases, amplement suffisantes pour piquer ma curiosité. Alors, avec deux/trois heures devant moi, j’ouvre cette œuvre dont je ne ressortirai pas avant de l’avoir fini -mais peut-on vraiment le finir ? Point final est l’incarnation littéraire de l’idée que ce n’est que lorsque quelque chose prend fin qu’une nouvelle chose peut commencer ; l’idée toute simple que, en soi, il n’y a pas de fin définitive, puisque chaque fin est un nouveau début.
Ici, la fin, c’est celle d’une mort mise en scène. Le début, c’est celle de l’observation détaillée, minutieuse, obsédée et obsédante qu’effectue un homme, mari et père sur sa famille dans l’objectif de les connaître, enfin. De les comprendre, peut-être. A travers le spectre de sa propre mort (qui n’est pas qu’une mise en scène tant elle semble avoir toujours été, symboliquement ; tant le protagoniste, et finalement ses proches, ne font et n’ont toujours fait que survivre), il contemple le vide de l’existence sans sens de sa famille, si vide que la détonation de sa disparition brutale ne semble pas laisser tant de traces que cela, au premier abord, et partage ses observations sur un blog -dont on peut regretter la non-existence, c’eût été une belle forme de méta-littérature numérique.


Voilà pour le topo. Mais il y a tant de choses à en tirer qu’on pourrait incessamment ré-écrire ce livre, le livre de nos vies, qui pourrait pourtant presque dégoûter certains de part l’utilisation de supposés stéréotypes... dans lesquels, honnêtement, on peut tous retrouver au moins une période de notre vie. Car ce qu’écrit le livre, c’est un vide, une déchirure viscérale et pourtant très contenue de par la froideur analytique du projet, qui n’est qu’une forme de vie -une forme de survie, plus exactement. Or, nous courrons tous le risque (« Le risque, c’est la vie même » Amélie Nothomb) de passer du côté de la survie, de basculer dans le quotidien, de fermer les yeux et de laisser s’enchaîner les jours. Il y a quelque chose de fort dans les non-écrits suggérés par la description de choses, somme toute, banales, quotidienne ; un vide que l’on a tous au moins une fois contemplé. Le vertige existentiel du sens de la vie ramené à la routine du quotidien. Un quotidien qui nous assomme et nous rend apathiques. Une apathie qui rend facile le passage du temps, qui rend plus doux les aléas de la vie.
Amené ainsi, ce... roman ? (difficile de le qualifier) peut paraître porter un regard extrêmement pessimiste sur l’existence. Je le dirai néanmoins réaliste et non pas pessimiste : non, il n’y a pas de sens universel au fait d’être, c’est à nous d’ébaucher le nôtre en vivant du mieux qu’on le peut, aussi fort qu’on le peut, et en faisant traces. C’est ce qui m’a le plus frappée : ce besoin régulier que chaque personnage a de laisser trace, d’une façon ou d’une autre (peut-être moins évident pour la femme, cependant). Le point final, c’est celui de ces traces, incessamment renouvelées ; des traces comme des phrases sur nos vies, un point pour clore l’instant, une nouvelle trace pour une nouvelle naissance. Sans cesse. Il n’y a pas plus vivants que ces instants où les personnages laissent traces, forment le(ur) monde et se forment avec lui ; pour lutter contre l’apathie, il faut tracer -tracer son chemin de vie.


Finalement, Point final décrit, avec concision, quelques aspects de nos existences, et ce faisant nous secoue, nous plonge en nous-mêmes, et rouvre des gouffres : celui des pertes, du passé, des regrets, mais aussi celui de l’espoir et de la force de vivre. En partant d’un point extrême (la mort, l’assurance d’une disparition définitive, le suspens d’une vie), il ouvre un angle de lecture -facilement accessible mais que l’on ignore trop souvent- sur nos vies, et me laisse cette idée en tête : pour vivre, il faut garder les yeux ouverts sur nous-mêmes.

Pomlodie
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le 17 mars 2016

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