Le crime était presque parfait

La Floride, sa simple évocation renvoie à tous les fantasmes, tous les excès, toutes les folies. En réalité, c'est surtout un point de friction entre les activités humaines, la faune et la flore environnantes, qui semble promis à un bien funeste destin si on croit les prévisions géologiques (inondations, sécheresse, ouragans). À lire des auteurs comme Carl Hiaasen ou Tim Dorsey, c'est une catastrophe aussi tragique qu'inévitable, à en juger par le comportement de leurs congénères floridiens. Il faut dire qu'ils connaissent leur sujet, les deux romanciers sont d'abord des journalistes. Le premier au Miami Herald depuis 1976, le second pour The Tampa Tribune à partir de 1987. Alors c'est dire s'ils en ont vu des vertes et des pas mûres dans la région. Mais au lieu d'en tirer un portrait déprimant, ils ont l'un et l'autre choisi d'en rire. Et ils le font bien.

J'étais déjà familier du nom de Tim Dorsey suite à ma lecture de Triggerfish Twist, chassé-croisé frénétique entre des agités du bocal d'un genre peu commun. Cela étant dit, j'entendais régulièrement celui de Carl Hiaasen sitôt qu'on parlait d'humour décapant sous le soleil de Floride. Banco, je pioche dans son œuvre le célèbre Queue de Poisson. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il complète très bien les farces sous ecsta de son collègue Dorsey. Le style est un peu plus relax mais le récit est éminemment déjanté. Où comment le meurtre parfait dérape quand la victime désignée a le culot de survivre...et de vouloir se venger...à sa façon. À travers le récit de vendetta aux stratagèmes vicieux, Hiaasen croque surtout cette partie de l'Amérique empoisonnée par le tourisme de masse, la dégradation de l'environnement et l'avidité infinie d'entrepreneurs sans morale.

La hargne de l'auteur est perceptible, même derrière la tonne d'ironie qu'il réserve à ses personnages, en particulier Chaz, caricature du parvenu fringant et superficiel obsédé par ses performances au lit. On rit de bon cœur de ses tourments, et il en bave. Il faut dire qu'avec Joey, il s'est choisi un adversaire particulièrement revanchard et grande gueule avec tout ça. Si l'empathie va naturellement du côté de cette dernière et de Mick, l'ex-flic reconverti en ermite, le lecteur se retrouvera finalement dans la même posture que le policier en charge de l'enquête, acteur de l'intrigue mais surtout témoin amusé des rebondissements en cascade provoqué par la "disparition" de Joey. On peut néanmoins trouver que le roman tire en longueur, et qu'on aurait probablement gagné à ôter quelques sous-intrigues pas très passionnantes. Mais franchement la balade était très agréable, et nos zygomatiques sont mis à contribution.