Nnedi Okorafor nous fait partager ici une histoire qui, avec une assurance et une fulgurance incroyables, s'immortalise en bijou unique du genre.
Je m'étais intéressé il y a peu, comme vous l'avez peut-être constaté, au catalogue d'ActuSF. Et il est vrai qu'avec un titre aussi percutant, et une histoire semblant si exotique, "Qui a peur de la mort?" m'a très vite entraîné dans sa lecture. Et si une chose est bien certaine, c'est qu'il est très difficile pour moi de vous donner une impression globale sur ce roman. Ce roman qui me semble, de manière très paradoxale, très en-dehors de tous les carcans littéraires actuels tout en s'y enfermant maladroitement. Mhm. Pas évident.
Pour commencer, chapeau à l"univers développé ici, que l'on découvre calmement au gré des pages. Sorte de croisement entre fantasy et science-fiction post-apo, je qualifierais bien ce texte de fantasy post-apocalyptique. Cela vaut ce que ça vaut, mais reflète plutôt bien ce monde sans nul autre pareil. Il semblerait que suite à une débauche de technologie, l'humanité ait finalement couru à sa perte d'une manière qui nous restera plus. Ce que l'on constate, c'est qu'un nouveau culte s'est insitué, le culte d'Ani, et que le monde a ,banni tout en maudissant toute technologie. Et avec ce nouveau culte, un nouvel ordre établi par "Le Grand Livre": les maudits "okekes", nés de la nuit, inférieurs aux "nurus", à la peau d'or. Et avec le bannissement de la technologie, l'avènement de la magie, du juju. Des sorciers émergèrent, et donc avec eux, des prophètes. Un monde, vous l'aurez compris, plutôt unique en son genre, qui sera vraiment excitant à découvrir.
Et c'est au milieu de ce vaste bordel, où les quelques Okekes non-esclavagés fuient continuellement vers l'est, que naît Onyesonwu. Elle est une Ewu: enfant du viol, elle est marquée à vie par la couleur de sa peau, si spécifique. Mais Onyesonwu fera bien des découvertes, car alors qu'elle cherchera sa place dans ce monde de souffrance, elle découvrira en elle le pouvoir de bouleverser l'ordre établi.
Alors, pour caricaturer, ma lecture est passée par trois grandes étapes. La première, ce fut la découverte de cet univers, du folklore, de la violence, de la souffrance. Dès le début du livre, on est propulsé dans une ambiance rude, terrible, où la souffrance est omniprésente. C'est finalement, la perte des ancrages: tout ce qui semblait rassurant, agréable, finit par dépérir. La deuxième partie, ce fut le début de la quête d'Onye, de son voyage. Ce fut un moment du livre extrêmement motivant, car après avoir découvert de quoi tout en retournait, et notamment le genre de livre auquel on allait avoir à faire (c'est-à-dire un livre très dépaysant et peu épargnant), on s'attaquait vraiment à l'intrigue. Et on est plutôt plein d'espoir, car on veut voir la noirceur du livre se disperser par la force et le bon sentiment (eh oui, quand même!). La troisième partie fut toute la suite: d'un ennui et d'un malaise très désagréables.
Car je ne vais pas tourner autour du pot sur trente lignes: la deuxième partie du livre m'a beaucoup déçu. Une fois l'excitation de découvrir un univers jamais lu jusqu'à maintenant passée, une fois bouleversé par la souffrance et la difficulté de la vie de notre narratrice, une fois prêt à en découdre dans sa quête: tout redescend à toute vitesse. On se retrouve pris dans un long voyage au but un peu imprécis, avec une narratrice perpétuellement conditionnée à réagir de la même manière à la souffrance et l'affront, et un groupe de voyage très dysfonctionnel. Cela pourrait être intéressant, cette dynamique de groupe un peu bancale, mais franchement, non: pas pour moi. La faute en premier lieu à Mwita, personnage exécrable, détestable d'un bout à l'autre du livre. Puis à tous les autres: glissant une ambiance claustrophobique alors que toute l'histoire se passe au milieu d'un désert infini, les compagnons de voyage, que ce soit les deux garçons ou les trois filles, ont bien failli me faire poser le livre plus d'une fois.
Et la quête de Onye semble parfois si conventionnée que l'excitation s'estompe petit à petit... Et tous ces sentiments ont perduré, pour ma part, jusqu'à la quasi-toute fin du roman.
Alors bon, difficile de véritablement plomber "Qui a peur de la mort?", surtout lorsque je me rappelle l'excitation qui a duré toute la première partie du roman. Mais cela m'a beaucoup peiné, toute cette "quête", puisque cela a même réussi à me faire m'agacer contre Onyesonwu, narratrice pourtant très attachante...
Quoi qu'il en soit, je conseille globalement la lecture de ce roman. Je ne l'ai certes pas beaucoup apprécié, au final, mais force est de constater la puissance qu'il possède et la justesse des thèmes qu'il aborde. Car oui, toute cette histoire nous parle très justement de certains phénomènes encore d'actualité (malheureusement, l'excision se croise encore, et je peux témoigner par mes simples six ans de médecine), de la façon de considérer la société et d'y trouver une place, de la réponse à la violence... Bien des choses, finalement, primordiales.