Rendez-vous avec la M.O.R.T. est un livre de Steve Jackson. Je pourrais conclure ma critique dès à présent, parce que ce simple fait suffit à le décrire dans ce qu'il a d'excellent comme dans ce qu'il a de pénible.


Pour commencer, Steve Jackson, ça veut dire un pitch de départ original. Et effectivement, l'idée de base de ce livre, c'est d'incarner un super-héros tout droit sorti de l'âge d'argent des comics : le Justicier ! Je présume que c'est l'occasion pour Jackson de rendre hommage à des bédés qui ont accompagné son enfance, et on sent qu'il se fait plaisir, avec une myriade de clins d'œil aux Spiderman, Captain America et autres X-Men (le traducteur est malheureusement passé à travers et en a gommé la quasi-totalité). Tous les poncifs du genre sont présents : le collant en lycra, les super-pouvoirs (enfin, son super-pouvoir, puisqu'il faut en choisir un entre la superforce, les nanorobots, les rayons d'énergie et la télépathie), les super-vilains tous plus barrés les uns que les autres et l'univers un chouïa kitschouille où la logique n'a cours qu'un jour sur deux (et encore). Les illustrations de Declan Considine, découpées en cases et bourrées d'onomatopées, lignes de mouvements et autres tics caractéristiques semblent elles aussi tout droit sorties d'un comics (à noter un caméo de Philippe Manœuvre au §29).


Dans l'ensemble, le livre est divisé en une série de petites péripéties toutes plus distrayantes les unes que les autres, qu'il s'agisse de rattraper un petit pickpocket, de mettre un terme aux méfaits d'un gang de casseurs chimistes ou d'éliminer des chiens radioactifs. Chaque situation est l'occasion de mettre en pratique son super-pouvoir, mais il reste nécessaire de faire preuve d'un peu de jugeote pour ne pas faire davantage de mal que de bien… Le problème de cette structure, c'est que le résultat final est un peu décousu, avec parfois des ruptures assez violentes quand on passe d'une scène purement loufoque à une autre plus réaliste. La menace que fait planer Titanic Cyborg sur la ville se veut un fil narratif parcourant toute l'aventure, mais elle ne revient pas assez fréquemment ni assez fortement pour apporter une réelle unité au livre.


Qui dit Steve Jackson dit aussi casse-tête de force maximale. En l'occurrence, si le Justicier n'arrête pas Titanic Cyborg, c'est perdu ; peu importe le nombre de voyous qu'il aura mis sous les verrous (ce choix ludique rend le système de points « Succès » qui vient récompenser le héros ayant bien fait son boulot complètement inutile). Pour parvenir à remporter la victoire, il est nécessaire de réunir un certain nombre d'indices, répartis de manière à peu près aléatoire au fil du livre, et dont la localisation change en fonction du super-pouvoir choisi au début. C'est un véritable tour de force de la part de Jackson d'avoir produit une structure aussi intriquée en seulement 440 paragraphes (d'accord, il lui en aura fallu 40 de plus que la normale), mais en ce qui me concerne, tout le respect que je peux lui accorder ne s'accompagne d'aucun plaisir lorsqu'il s'agit de refaire le livre pour la dixième ou quinzième fois. C'est assez agaçant quand le livre ferme des choix qu'il serait tout à fait logique de prendre : par exemple, en arrivant dans une banque fraîchement cambriolée, le Justicier peut interroger le directeur ou le vigile ou l'inspecteur en charge de l'enquête. Qu'est-ce qui l'empêche d'interroger les trois ? Rien, si ce n'est le besoin de forcer le lecteur à refaire l'aventure plusieurs fois afin de déterminer la bonne voie à suivre.


Et ça m'agace. Ça m'agace parce que j'aime les livres-jeux qui récompensent la réflexion et le bon sens, pas ceux qui fonctionnent à la logique lunaire (l'un des indices pour atteindre la fin, c'est le jour que l'on est – sérieusement, le Justicier est trop con pour savoir quel jour on est à moins de trouver un bout de papier qui le lui dit) et daignent lâcher un os aux courageux qui les referont trente fois pour trouver la voie (« Moi je l’ai trouvée. Il faut donc que vous la trouviez aussi… »). Ça m'agace parce que j'aime les livres-jeux ouverts, ceux qui t'offrent différents chemins pour atteindre la fin (ou même, soyons fous ! différentes fins). Ça m'agace parce que j'aimerais aimer un livre aussi imaginatif mais que sa structure me le rend tout simplement pénible. Ça m'agace parce que je suis sans doute trop bête pour finir ce genre de livre à la loyale, et personne n'aime qu'on lui mette le nez dans sa propre bêtise.

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le 6 avr. 2015

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Tídwald

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