La lenteur dans Tortilla Flat est à la fois une philosophie et un style d’écriture, et c’est dans ce mariage entre les mots et le rythme de l’univers qu’il dépeint que John Steinbeck situe la force de son roman. Petite fable sur les « paisanos » du début du siècle, Tortilla Flat amuse, surtout. Danny hérite d’une grande maison, mais il ne sait pas trop quoi en faire, lui qui a grandi sans toit, sans responsabilités autre que celle de sa propre survie. Comme ses amis (l’étaient-ils vraiment avant Tortilla Flat ? ) Pilon, Pablo, le Portagee, Big Foot, Le Pirate, Danny irrigue son ses journées de bidons de vins et de quelques morceaux de viande volés ici et là. Tous vivent somnolants, attendant tranquillement que tombent du ciel (ou du coffre-fort du voisin) nourriture et revenus. Le poids de la responsabilité du propriétaire et des locataires va d’ailleurs empoisonner leur roupillante existence. Jusqu’à un certain point, puisqu’à la fin triomphe toujours la fascinante oisiveté des « paisanos ». Steinbeck s’en moque gentiment – c’est, d’abord et avant tout, un chef d’oeuvre de roman satirique – mais il atteint, je trouve, sa première force quand il suggère entre les lignes à un lectorat qu’il sait conquis par le capitalisme occidental, une sourde critique de celui-ci.