Je reprends à mon compte cette jolie formule de Maître Michel Crépu dans une émission du Masque et la Plume : Tous les hommes n'habitent pas le monde la même façon ne mérite vraiment pas qu'on s'énerve pour lui, dans un sens ou dans l'autre. "J'ai été couvert par un duvet d'ennui" en lisant ce livre, certainement pas très bon mais pas très mauvais non plus : l'écriture est agréable même si le style est parfois trop appuyé, les pages se tournent assez facilement malgré l'ennui. Néanmoins, ce roman n'est pas bon pour plusieurs raisons : l'histoire est sans intérêt, les personnages sont caricaturaux et l'architecture "complexe" de type sérielle n'est pas justifiée par l'intrigue.

Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon raconte donc la vie de Paul Hansen, dont on apprend qu'il est en prison. On devine donc dès la première page que le livre va raconter comment ce Paul s'y est retrouvé. Jean-Paul Dubois a choisi une construction par flashbacks : le roman alterne entre la vie en prison, et le récit de la vie passée de Paul Hansen. Les passages les plus intéressants sont ceux qui se déroulent en prison grâce au personnage de Patrick Horton, le compagnon de cellule, Hell’s Angel, fan de Harley Davidson, colosse respecté et craint par les codétenus, complètement opposé à Paul. Malgré quelques caractéristiques superflues,

Était-il vraiment nécessaire d’insister sur les selles quotidiennes à heures fixes de Patrick Horton ? Sur sa phobie de se faire couper les cheveux ?

le personnage est assez drôle et touchant dans ses nuances imprévisibles. En revanche, le récit de la vie de Paul Hansen est prévisible, ennuyeux et caricatural. On commence donc par rencontrer son père, un Danois pasteur protestant émigré en France. Il se marie à la gérante d’un cinéma Art & Essai de Toulouse, une magnifique « femme moderne et libérée » des années 1960. Ce couple dysfonctionnel par essence finit, ô surprise, par divorcer après que la mère de Paul a diffusé Gorge profonde dans son cinéma. Merci pour la morale protestante pudibonde. Le pasteur part au Canada, où il cède à l’appel du jeu et dilapide sa fortune et celle de son presbytère au casino de Montréal. L’homme de Dieu confronté à deux démons, la Femme et l’Argent. Amen, Deo Gratias, merci Père Dubois pour l’homélie dégoulinante de symbolisme.

On a ensuite droit au récit de la vie de Paul Hansen, cousue elle-aussi de fil blanc. Engagé comme superintendant d’un immeuble de bourgeois, il devient l’homme à tout faire, s’occupe de la maintenance matérielle mais aussi humaine de l’immeuble. « Certains soirs, j’avais l’impression d’avoir passé plus de temps à écouter crisser les âmes qu’à vérifier sur le toit les grincements des extracteurs » (p. 154). Le gentil concierge qui dépasse ses prérogatives professionnelles, qui s’occupe des gens. Un humain bon, en somme. Puis, inévitablement, un nouveau gérant prend le contrôle de l’immeuble, incarnant uniquement des logiques administratives, économiques, légales de stricte respect des règles au détriment des petites habitudes humaines. Cette machinerie froide broie l’humanité sensible de Paul Hansen, jusqu’à le pousser à commettre l’acte qui l’enverra en prison. Encore une symbolique caricaturale.
Les personnages et l’intrigue sont monolithiques, caricaturaux, symboliques à l’écœurement. Seuls Patrick Horton et la compagne de Paul, Winona, apportent un peu de nuances et de poésie. J’ai lu le roman jusqu’au bout, espérant un retournement dans les dernières pages qui donnerait du sens aux 250 précédentes. Je ne l’ai pas trouvé. Je n’ai pas compris le choix d’architecture par flashbacks de Jean-Paul Dubois, puisque le nœud de l’intrigue, la raison de l’emprisonnement, est révélée à la fin et ne constitue ni une surprise, ni un bouleversement scénaristique. Le Goncourt 2016, Chanson Douce de Leïla Slimani justifiait une construction complexe car on découvrait au fur et à mesure le dénouement de l’intrigue exposé en incipit.

Ce Goncourt 2019 n’est pas désagréable à lire, mais n’apporte rien, sinon une perte de temps.

antoinegrivel
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le 30 déc. 2019

Modifiée

le 30 déc. 2019

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Antoine Grivel

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