« Tout un monde lointain, absent, presque défunt » La Chevelure (Baudelaire).
Après avoir lu Le Scribe et l’entretien avec l’auteure qui me l’avait fait découvrir et aimer, j’ai eu envie de lire son livre précédent Tout un monde lointain, pour mieux connaître cette auteure.


Pour mémoire, Célia Houdart, est une auteure française, née en 1970 à Boulogne-Billancourt. Après des études de lettres et de philosophie à l'École normale supérieure (1991) et dix années dédiées à la mise en scène de théâtre, elle se consacre à l'écriture. Elle est l'auteure de six romans parus chez P.O.L. :
Les Merveilles du monde (2007), Le Patron (2009), Carrare (2011), Gil (2015), Tout un monde lointain (2017) et Le scribe (2020).


Le personnage central du roman est la Villa E-1027. Il s’agit d’une villa de bord de mer située à Roquebrune-Cap-Martin dans les Alpes-Maritimes en France. C'est un exemple type de l’architecture moderniste des années 1930. Elle a été construite de 1926 à 1929 par l'architecte-décoratrice Eileen Gray et l'architecte et critique d'art Jean Badovici. La villa est ainsi baptisée E-1027, selon un code unissant les noms des architectes : E pour Eileen, 10, pour le J de Jean, comme 10e lettre de l'alphabet, 2 pour le B de Badovici, 7 pour le G de Gray.


Première création architecturale d’Eileen Gray, la villa E-1027 témoigne de sa réflexion attentive dans le dessin de chaque détail. Elle a valeur de manifeste, tant pour l’architecture elle-même que pour les meubles fixes et mobiles, les luminaires et les décors qui en sont indissociables. Vidée de son mobilier, était très dégradée lorsque le Conservatoire du littoral en fit l'acquisition en 1999. Après restauration, elle est actuellement accessible aux visites sur réservation uniquement.


Témoignage de visite :


https://www.so-deco.fr/avons-visite-villa-e-1027-cabanon-de-corbusier/
« La villa possède à l’étage supérieur : une toute petite cuisine rikiki intérieure et extérieure, une pièce à vivre avec 2 lits, une salle de bain ouverte, un grand balcon, et la chambre d’Eileen avec salle de bain. A l’étage inférieur une deuxième cuisine d’été en dessous de la maison qui est sur pilotis, une chambre pour la domestique et une chambre d’ami avec accès direct sur le jardin avec douche et solarium.
Le Corbusier y venait régulièrement et profitait de la chambre d’ami.

Pour revenir un peu sur l’histoire de la maison, Eileen Gray n’y est venue que 3 ans, elle l’a cédée à Jean par la suite. Juste le temps de la façonner et de la rendre agréable à vivre pour de courts séjours. Quand ils se sont séparés, Jean a donné carte blanche à Le Corbusier pour qu’il puisse s’adonner à son art favori : la peinture.
Il a donc « tagué » une grande partie de la villa. En lisant la presse, Eileen a eu vent de ces peintures murales et les a ressenties comme une agression : cela ne correspondait pas du tout à l’esprit de la villa. Elle a donc demandé expressément à ce qu’elles soient recouvertes. A ce jour il reste 4 fresques dont une qui n’est pas visible par les visiteurs.
Comme toutes les maisons de cette époque, la Villa a souffert de la guerre, puis a été délaissée et squattée. C’est en 1999 que le conservatoire du Littoral, avec le concours de la ville de Roquebrune Cap Martin, a commencé les travaux de rénovation. Elle n’est ouverte au public que depuis 2015…
»


Autre personnage du roman, Ludmila Grecovskaya qui, pour faire simple se fait appeler Gréco. Architecte d’intérieur, ou plus exactement "ensemblière" à la retraite, voisine et amie du précédent propriétaire de la villa, assassiné cinq ans plus tôt.


Le défunt n’ayant pas d’enfant a désigné son neveu, le fils de sa sœur, qui vivent aux États-Unis, comme héritier, la succession s’avère longue et difficile, la sœur réclamant une part. Les années passent. Gréco attend car elle désire acheter la villa. Chaque jour elle passe devant et son envie ne fait que croitre, mais elle ne peut empêcher les cambriolages et les dégradations dues au temps aux pillards ou aux squatters.


On apprendra que la petite fille du Prologue qui court, en 1918, dans la prairie d’Ascona (canton suisse du Tessin) de Monte Verità n’est autre que la future Gréco. Tout à la fin du XIXe siècle, un petit groupe de personnes mené par le fils d'un industriel anversois, Henri Oedenkoven (1875-1935) et sa compagne, la pianiste et féministe allemande Ida Hofmann (1864-1926), acheta la colline (Le Monte Verità) et se constituèrent en une communauté. Les fondateurs y pratiquèrent ensuite une vie proche de la nature, végétarienne et naturiste, prônant ouvertement l'amour libre. Ils restèrent sur le Monte Verità jusqu'en 1920 et partirent ensuite pour le Brésil. La colline devint alors le lieu de rencontre de célèbres penseurs et artistes, comme Hermann Hesse, Carl Gustav Jung ou Erich Mühsam, puis Gilbert Durand, Gershom Sholem et bien d'autres, qui animèrent également le cercle Eranos, qui se réunissait non loin de là, au bord du lac Majeur, dans la Casa Eranos.


L’auteur confiera : « Je me suis toujours demandée ce que c’était pour un enfant de naître et grandir au sein d’une communauté. Reste que l’expérience de Monte Verità, avec ces hommes et ces femmes naturistes et vegan avant que ce ne soit à la mode, qui fuyaient déjà le bruit et la pollution des villes, ces pré-beatniks qui portaient des vêtements qu’ils avaient confectionnés eux-mêmes, qui pratiquaient le troc, essayaient de se dégager des contingences sociales pour inventer de nouvelles hypothèses de vie, tout cela me touche profondément. Les membres de cette communauté ne me font pas rêver mais ils m’émeuvent. Et puis c’est quand même troublant de penser que tous ceux qui ont fait l’Europe, artistique, intellectuelle de l’époque (Hermann Hesse, Kandinsky, Hugo Ball, Hans Arp, Carl Gustav Jung …) sont à peu près tous passés par là. »


C’est sans doute la raison pour laquelle Gréco ne signale pas la présence de nouveaux squatters dans la villa, quand elle découvre Tessa et Louison, un jeune couple artiste, qui doit évoquer, pour elle un monde communautaire qui ne lui est pas complétement étranger.


Elle va vivre, avec ces deux jeunes, une expérience bouleversante qui changera à jamais le cours de sa vie.


On aura compris que, comme dans « Le Scribe », l’auteure mêle savamment le monde réel et la fiction, on passe constamment de l’un à l’autre dans un univers où on se laisse porter et emporter dans un tourbillon où la question de l’authentique et de l’imaginaire ne se pose plus.


Je laisse à l’auteure le dernier mot : « J’aime l’idée que mes romans échappent aux genres et aux catégories habituels. Qu’ils brouillent les frontières entre le polar, le roman plus classique, le conte, le fantastique, et le poème en prose. Cela me donne l’impression d’être plus libre, je crois. »

Philou33
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le 12 mai 2020

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