Une femme
7.4
Une femme

livre de Annie Ernaux (1988)

J'achève à l'instant ma lecture et je suis encore très émue.

Ce bref récit - qui m'a donné l'opportunité de découvrir son auteur - est un concentré de réalisme et d'émotion. Pourtant, il traite d'un sujet commun : la disparition de la mère. Comme nous sommes tous nés d'une mère (enfin, avant qu'on légalise le clonage mais patience, c'est pour bientôt, on est bien partis pour... no more comment), nous sommes tous condamnés à la perdre un jour et ce, selon toute logique et en l'absence d'impondérables, avant qu'elle nous perde elle-même.

De ce récit simple, hautement personnel et traité non comme une longue confidence dégoulinante de pathos mais comme une chronique factuelle, surgit le sentiment irréversible de notre impuissance devant la fatalité, de notre embarras devant la vieillesse, de notre désarmement devant le déclin et de notre totale inaptitude à anticiper ce qui est pourtant inévitable.

Ce paradoxe entre la maîtrise de nos existences et notre fragilité émotionnelle devant la mort est ici parfaitement mis en lumière par ce témoignage poignant d'une fille ni excessivement aimante ni excessivement indifférente, une fille comme... moi, et peut-être comme vous, qui sait ? Toutefois, peut-on réellement se dire "ni excessivement aimante ni excessivement indifférente" ? Cette situation unique dans notre existence de perdre celle qui nous a donné la vie, qui a normalement veillé à notre éducation et à notre évolution dans la société ne se représentera pas une seconde fois. Dans cette situation, disais-je, nous sont révélés des mécanismes émotionnels inconnus de nous-mêmes. Pendant qu'autour de nous la vie continue - ce monsieur-ci continue de marcher dans la rue, cette dame-là rit à une plaisanterie - c'est comme un gouffre qui s'ouvre devant nous et nous fait redevenir aussi nul et inefficace qu'un nourrisson. On aime quand on croyait ne plus aimer, on regrette quand on croyait assumer, on voudrait quand on ne peut plus vouloir...

L'auteur a voulu faire partager au lecteur cette dimension et je trouve qu'elle y parvient à la perfection. Nonobstant un style sur lequel j'ai ponctuellement dérapé - simple question de tournures de phrases - ce fut une belle lecture, une narration rythmée à travers laquelle, à maintes reprises et jusqu'à l'égarement, je me suis retrouvée et j'ai aussi retrouvé ma propre maman. J'ai beau ne pas me sentir proche d'elle, quand elle me quittera, je serai désemparée.

Annie Ernaux le dit elle-même à la fin de l'oeuvre, il lui aura fallu dix mois pour décrire une existence qui tient en cent pages, c'est vous dire l'intensité de chaque mot.
Gwen21
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le 2 oct. 2014

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