Une femme
7.4
Une femme

livre de Annie Ernaux (1988)

Annie Ernaux a un statut particulier dans le petit monde des écrivains. Attaquée de toute part pour une absence supposée de qualité littéraire, auteure engagée à la fois dans sa vie et ses écrits, elle suscite a minima l’intérêt. Sur conseil de ma sœur qui a commencé à lire ses bouquins sur conseil se notre mère, ce livre est donc une véritable histoire de famille. Et la lecture s’est avérée tout à fait enrichissante.


Marquée par les rapports de domination et donc une certaine approche marxiste, Annie Ernaux raconte dans ce livre sa version de la vie de sa mère. Rédigé après la mort de celle-ci, qui survient à la suite d’une longue dégradation appelée Alzheimer, l’opuscule est une forme de catharsis évidente, mais n’est clairement pas que ça. Analyse d’une vie intéressante, traversant le vingtième siècle normand en progressant dans l’échelle sociale, elle rend compte de l’impossibilité d’embrasser parfaitement les codes du nouvel environnement auquel on n’appartiendra jamais complètement parce que trop marqué par le milieu dont on est issu.


De la même façon, les rapports parents/enfants sont marqué par ces nuances : on veut le meilleur pour ses enfants, c'est-à-dire qu’ils dépassent la condition dans laquelle en tant que parent on a passé sa vie. Si ce modèle est atteint, on perd immédiatement une partie de la relation qui nous lie à eux. Ce constat qui me parait au moins digne d’intérêt est terrifiant puisque la réussite ultime du job de parent devient alors de perdre toute forme de complicité avec sa progéniture.


Car celle-ci commence à avoir des préoccupations bien éloignées des siennes, considère comme marginal ou accessoire des problématiques qui sont pour nous fondamentales. Le passage de témoin à la génération suivante devient alors une souffrance, et la perte de communication induite, s’il ne régit pas l’amour qui peut exister, abîme malgré tout la relation entre les générations.


Enfin, la description de la « condition » du malade d’Alzheimer est particulièrement réaliste : esprit perdu, engoncé dans des schémas mentaux inefficaces et inappropriés, perte de la conscience de soi, des autres, même quand ils sont importants, même quand ce sont les enfants. Malgré tout, j’ai du mal à comprendre les accusations de misérabilisme qui sont faites à l’égard de l’auteure. Car comme le dit elle-même, le livre est une expérience à cheval entre la thérapie, l’anthropologie, la sociologie, la mémoire, la fiction. Et c’est ce mélange qui en fait l’intérêt et la force.

CorwinD
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le 7 juin 2015

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