I’m Deranged
8.3
I’m Deranged

Morceau de David Bowie (1995)

J'ai envie d'écrire n'importe quoi aujourd'hui alors quoi de mieux que d'écrire sur cette chanson. J'ai conscience que comme toujours avec Bowie, ce qui semble être un patchwork d'influences disjointes au mieux, ou un ensemble de non-sens bordéliques au pire, est en fait une oeuvre d'art qui dans l'esprit du mad man est de l'ordre de l'évidence. Alors, Bowie nous pousse à exercer nos facultés de clairvoyance, mais l'on finit par s'armer, nous, esprits faibles et décevants, de notre propre imagination pour faire dire à Bowie ce qu'il n'a probablement pas voulu dire.
C'est pour ça que je déteste analyser une oeuvre, et c'est aussi pour ça que j'adore le faire, dans l'espoir de partager pendant une petite seconde, une communauté d'idées avec ceux qui l'ont enfantée. Ce partage est toujours hypothétique, mais il n'empêche que pour chaque nouvelle interprétation d'un texte, d'un procédé, d'une image que j'apprécie, j'ai l'impression de cracker le code d'accès au génie créatif. Enquêtrice fanatique amateure, c'est donc ça, la vocation à laquelle j'aspire.


Bref, passons, et entrons dans le vif du sujet. Ma question est d’abord, et surtout pour cette chanson, quel est-il ? Je n’en ai aucune idée. Tour à tour, je crois entendre dans ses vocalises étranges, un encensement de la perversion sexuelle, ou une plainte face aux incertitudes de l’existence humaine. Ni l’une ni l’autre de ces hypothèses ne me paraît possible quand je pense à l’auteur de cette chanson ; la première est presque trop évidente, le titre « I’m deranged » appelant immédiatement à penser à toutes formes de déviances. Beaucoup d’indices dans le texte convergent vers cette idée ; l’étrange évocation d’un personnage blond, l’obsessionnel « cruise me », auquel on peut donner mille significations mais pas une seule qui soit grammaticalement correcte, le « down down down », l’homme aux mains enchaînées, et le poing de l’amour (« fist of love »). Le personnage central de l’oeuvre, l’homme-ange, pourrait être une sorte de Dieu sensuel, ou quelqu’un qui se réclame de cette divinité. Va savoir.


La seconde hypothèse, je la lance, parce que je pense que le second vers se veut être lucide sur la nature humaine : « I’d start to believe if I were to bleed ». Sans souffrance, croyance il n’y a pas. Et, suite à cette ouverture, les références à Dieu et à la foi se font aussi nombreuses dans le texte que celles au sexe ; « Thin skies », les mains enchaînées de l’homme sont adressées au ciel, « beyond beyond beyond » en opposition au « down down down », l’étreinte de la vie (« the clutch of life »), et le Salaam, la paix. L’homme-ange n’est alors pas grand-chose de plus que ce que son titre indique manifestement. C’est une vision mystique ; une allégorie divine.


Ces deux hypothèses sont aussi incomplètes qu’insatisfaisantes, cette première qualité les rendant plus acceptables : le tâtonnement permet au moins d’effleurer la vérité.
J’ai lu que Bowie s’était inspiré d’histoires d’hôpitaux psychiatriques ; d’un homme qui avait vécu homme avant de devenir ange. C’était donc ça, ce dérangement. Un délire narcissique, en parfaite opposition avec l’image angélique. Je crois que c’est cela que décrit la chanson, et que c’est pour cela qu’elle est si schizophrénique ; elle touche au plus noir du profane, et au plus lumineux du sacré.


C’est pour ça qu’elle nous parle à tous.

T-Usk
9
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le 11 janv. 2017

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