Piano Concerto No. 5 in E flat major Op. 73 "Emperor": II. Adagio un poco mosso par Anonymus

Je ne parlerai pas du corps même de ce très bel adagio, où les cordes font comme une nappe épaisse percée de rares pizzicatos, sur laquelle vient broder le piano, avec ses cascades de cristal à la sonorité transparente. Je parlerai de la transition qu'a faite Beethoven entre ce mouvement et le rondo qui suit, une transition d'une grande noblesse et d'une grande beauté, assez rare, il me semble, puisque les deux morceaux ne forment en fait qu'une grande continuité musicale qu'aucun silence ne vient interrompre.

Vers la fin de la septième minute, alors que le thème principal s'essouffle et que le piano entame progressivement une lente descente vers ses graves les plus profonds, marquant un éloignement progressif que le chœur des vents vient ponctuer par quelques hautes et courtes notes, les bassons qui n'avaient jusque là fait que de la figuration prennent l'initiative de prolonger le dernier accord et, brusquement, de l'abaisser d'un demi-ton, brisant la tonalité installée depuis le début du mouvement. Cette rupture est particulièrement puissante, dans le silence des cordes. Alors le piano y égrène une première fois quelques fragments d'un nouveau thème, ascendant celui-ci. Puis, peu de temps après, une deuxième fois, plus précise. Les silences s'éternisent. Enfin vient la troisième fois, puissante et brusque, qui marque le début du rondo, une grande envolée expressive bientôt reprise par l'orchestre au complet.

Difficile de ne pas voir, dans ces quelques secondes de musique magnifique, la quintessence de l'absolu romantique qui flottait dans l'air dans ces années 1810. Goethe était à Weimar et Hegel méditait sans doute ses "Principes de la philosophie du droit" dans lesquels il allait inventer la figure du grand homme. Beethoven n'échappait pas à ce Zeitgeist et on peut retrouver, dans sa subtile transition, ce grand homme dont les idées, d'abord en douce gestation, finissent par s'exprimer avec vigueur avant d'être reprises en chœur par l'ensemble des citoyens du monde éclairé. Changement de thème, changement de rythme, insufflés par le piano d'abord seul puis imités par l'assemblée des instruments au grand complet. Subtile transition, mais brutale transition, descente d'un demi-ton évoquant la Révolution. L'Empereur de Beethoven n'est certainement pas Napoléon, dont l'occupation de Vienne harassait le compositeur, mais il est à coup sûr l'empereur des concertos.

[N.B. je recommande la version de Karl Böhm dirigeant Maurizio Pollini et le Wiener Philharmoniker, dans l'enregistrement Deutsche Grammophon.]
Anonymus
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Fragments de poésie pure

Créée

le 29 déc. 2011

Critique lue 221 fois

8 j'aime

1 commentaire

Anonymus

Écrit par

Critique lue 221 fois

8
1

Du même critique

Barry Lyndon
Anonymus
10

Critique de Barry Lyndon par Anonymus

Ah ! Redmond... Ce film nous amène à "la grande question cinématographique" : comment un personnage, si bien vêtu, filmé avec tant d'art, de science et de goût, dans des décors naturels si somptueux,...

le 2 déc. 2010

188 j'aime

24

La Pianiste
Anonymus
7

Critique de La Pianiste par Anonymus

Je trouve injuste de réduire La Pianiste à la simple mise en scène de maladies mentales et de perversions inavouables. La réalité décrite par M. Haneke me semble plus complexe et plus générale ; il...

le 11 mai 2012

138 j'aime

4

Les Amours imaginaires
Anonymus
7

Critique de Les Amours imaginaires par Anonymus

Pour aimer "Les Amours imaginaires", je pense qu'il ne faut pas avoir peur du ridicule. Ce ridicule adolescent, que je connais à la perfection, mieux que moi-même, qui a été mon grand ami et que j'ai...

le 15 juin 2012

123 j'aime

4