Engrenages
7.6
Engrenages

Série Canal+ (2005)

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On est fin octobre 2020 au moment de la rédaction de cette critique.
La saison 8 d’« Engrenages » vient de sortir. L’ultime saison…
Ainsi prend fin une série qui aura tout de même compris quatre-vingt-six épisodes de cinquante minutes chacun, eux-mêmes étalés sur quinze ans de production.
Une telle longévité est en général le signe des séries qui ont marché.
…Des séries « qui se posent là » comme j’aime souvent dire.


Or, c’est un fait, « Engrenages » a su effectivement se poser là.
C’est quelque-chose qu’il est difficile de nier, quand bien même cette série est-elle discutable sur de nombreux points ; quand bien même sa qualité fut fort fluctuante de saison en saison, et surtout quand bien même respirait-elle un profond goût d’inachevé et cela même au sommet de son art.
« Engrenages » est donc une série bancale, certes. Mais « Engrenages » est aussi et surtout une série pionnière ; une série qui a défriché un terrain au sein d’un espace pourtant peu enclin aux séries de qualité : le paysage audiovisuel français.
Et si « Engrenages » n’a rien inventé en termes de genre ou de format dans ce paysage-là, elle a par-contre posé toutes les bases d’une filière de production : celles des « créations originales Canal+ ».


Parce qu’en 2005, année de la première saison d’ « Engrenages », Canal+ n’était rien dans le monde de la série. C’était un producteur de sitcoms et de shortcoms, mais qui n’existait pas dans la catégorie-reine ; celle qui a fait l’âge d’or du format durant tout le début du XXIe siècle.
Et si aujourd’hui on peut remercier Canal+ pour nous avoir offert avec ses « créations originales » des bijoux comme « Le Bureau des légendes » et surtout « Baron noir », c’est aussi parce qu’avant tout cela un apprentissage a été fait.
Et cet apprentissage, c’est sur « Engrenages » qu’il s’est opéré.


Car en effet, « Engrenages », c’est une série qui est à l’image de tout le parcours de Canal+ dans le domaine.
C’est d’abord une première saison où il a fallu échouer pour apprendre. Car malgré l’ambition de faire sortir la série policière française du niveau abyssal des « Julie Lescaut » et autres « Navarro », « Engrenages » commence par se heurter à ses propres limites.
Singeant bêtement les codes formels des séries américaines les plus putassières et ne parvenant pas totalement à se défaire des mimiques simplistes du polar à la française, cette saison 1 patauge et ne parvient pas à tirer pleinement profit des connaissances qu’elle a pourtant accumulées du système judiciaire français.
Malgré tout certaines bases qui feront par la suite la force de la série sont déjà esquissées.
On voit déjà bien l’intention d’intégrer l’enquête policière dans un cadre juridique et politique qui va presque forcément de pair, insistant sur la difficulté qu’ont tous ses « engrenages » à bien tourner tous ensemble.
De même, parmi cette mélasse de personnages souvent caricaturaux et/ou confus, deux réussites parviennent malgré tout à déjà s’imposer tout de suite (et auxquelles je me suis d’ailleurs raccroché pour ne pas sombrer dès la première saison) : d’abord le cynique mais non moins caustique juge Roban ; remarquablement interprété par un Philippe Duclos qui semble se délecter d’un tel rôle. Et puis il y a ce bon vieux « Tintin » ; personnage qui incarne très bien le petit fonctionnaire de police sympa (là aussi très bien interprété par Fred Bianconi) qui essaye de faire son taf au mieux malgré les débordements des copains.
Deux réussites qui s’imposent tout de suite et qui sauront tenir sur au moins sept saisons.


Malheureusement, à côté de ces quelques rares qualités, la première saison d’ « Engrenages » n’en reste pas moins une bien délicate entrée en matière pour qui voudrait découvrir cette série, tant celle-ci est lacérée par des choix formels calamiteux.
Photographie hideusement artificialisée, avec une exposition assez importante couplée d’une saturation fadasse qui donnent à l’image un côté à la fois sombre, à la fois éblouissant, ce qui a de quoi agresser l’œil exigeant.
Transitions putassières, caméras au poing en-veux-tu-en-voilà, mises aux point chaotiques, plans grues avec des cadres qui gigotent… C’est tout bonnement immonde.
Mais le pire reste encore l’écriture. Surenchère dans les affaires, phrases-clefs martelées au pilon (Après cette saison 1, vous ne pourrez plus jamais entendre « Elle devait être très belle » sans avoir envie de tuer quelqu’un.) Et surtout, malgré l’envie de s’en détacher, cette saison nous gratifie régulièrement de quelques sous-intrigues venant s’inscrire dans la plus pure tradition des navets de TF1, avec personnages caricaturaux et intrigues faits de quelques bouts de ficelles à la clef…
En somme, la catastrophe est telle que, personnellement, je conseillerais presque à quiconque voudrait découvrir cette série de laisser de côté cette saison 1 et de commencer directement par la saison 2. Et ça tombe bien parce que cette deuxième saison est quasiment pensée dans cette logique-là.


Parce qu’en effet, dès la saison 2, « Engrenages » a déjà beaucoup appris.
Guy-Patrick Sainderichin est mis à la porte. La BBC Four rentre dans la danse. Et déjà ce n’est plus vraiment la même tambouille.

Tout d’abord les personnages et les arcs narratifs les plus caricaturaux sont envoyés à la benne (et c’est tant mieux.)
Bye bye Vincent Leroy, l’avocat injustement déchu qui essayait de se la jouer « pastiche de Gainsbarre ».
Bye bye aussi Arnaud Laborde, le ministre sadiquo-assassino-pédophilo-buveur de sang (triste manière d’ailleurs de gâcher un pourtant très bon Scali Delpeyrat).
Bye bye enfin Benoit Faye, le copain gênant, ainsi que Marianne, la femme tant aimée par le gentil procureur Clément !
Tout ce passif embarrassant est expédié en deux-trois phrases en début d’épisode 1 de cette seconde saison.
Gilou change même carrément de nom passant de Lemaire à Escoffier (amusant).
On sent vraiment que les équipes ont été renouvelées et que désormais il est vraiment question pour cette série de changer son fusil d’épaule.


Ça se ressent notamment aussi la réalisation qui, sans devenir vraiment bonne, a au moins le mérite de sacrifier le pire et de réajuster ce qu’elle peut. (Même si celle-ci n’abandonnera jamais ce bougisme abusif qui sera le vrai gros point noir de la série).
Dans un autre registre, le sensationnalisme bon marché cède aussi du terrain, même s’il reste toujours un peu présent. A la place la série préfère se recentrer davantage sur la tension que certaines situations exercent sur les personnages. D’ailleurs – comme un symbole de cette transition – la scène de filoche de la fin de premier épisode n’est pas sans s’inscrire dans la droite lignée de « The Wire ».
Clairement, on sent que les modèles ont changé. Et même si la saison 2 n’échappe pas à quelques faiblesses de forme et de fond (notamment avec un final rushé, sensationnaliste et globalement loupé), elle monte quand-même le niveau d’un cran ; la présence de Reda Kateb et de Swann Arlaud dans les seconds rôles augurant d’ailleurs d’une réelle montée en gamme.


Malgré tout – pour être vraiment honnête – il faut vraiment attendre la saison 5 pour qu’ « Engrenages » révèle enfin son plein potentiel.
La saison 3 n’était certes pas trop mal ficelée en termes d’intrigue (notamment au niveau de ses rebondissements) mais elle a néanmoins régulièrement subi ses méchants d’opérettes…


…notamment ce personnage de Ronaldo, bien trop caricatural pour ne pas devenir le vrai boulet de cette saison.


Et puis il y a encore eu ce problème de fin trop rapidement torchée qui ne laisse pas le temps de poser un moment de retombée et de bilan que moi je trouve nécessaire à la conclusion de chaque saison.
Un problème de fin qui s’associe d’ailleurs ce coup-ci avec un problème de début puisqu’un nouveau coup de balai est opéré en amorce de cette saison, mais celui-ci se révèle beaucoup moins compréhensible que le précédent.


(Où est passé Sami ? Pourquoi Laure est de nouveau célibataire ? Quid des conséquences de l’affaire Larbi ? Grand mystère…)


Quant à la saison 4 – sûrement la moins bonne après la 1 – elle se prend malheureusement les pieds dans le tapis d’une dénonciation bancale de la politique sarkozyste de l’époque, mêlant bons-sentiments mal placés et menace d’ultra-gauche pas crédible, le tout en trimballant aussi son lot de casseroles au cul : DCRI caricaturale au possible ; pathétique personnage de « John-Antoine Jorkal » (ça ne s’invente pas. Ou plutôt non : ça ne devrait pas s’inventer), triste truand dont l’interprète finit lui-même par se rendre compte qu’il en fait trop et change soudainement son jeu après quelques épisodes (véridique) ; on bien encore conclusion sensationnaliste qui enchaine les fautes de goût et les « jump the shark »…
En somme, vraiment peu de choses fonctionnent dans cette saison 4.
Alors que bon, dans la saison 5, les astres s’alignent enfin.


Parce qu’en effet, c’est vraiment avec cette cinquième tentative que tout ce qui a été expérimenté pendant quatre saisons est enfin mobilisé à juste escient.
Ici, on retrouve l’amorce efficace de la saison 3, sachant remonter rapidement des pistes qui s’avèrent finalement fausses, quoi qu’en fin de compte pas si fausses que ça… Et pour le coup, ça fonctionne jusqu’au bout, quand bien même certains éléments sont un petit peu amenés comme des cheveux sur la soupe…


(Je pense notamment au cas du personnage de Laetitia Ribeiro qui pope un peu comme ça par hasard dans les pattes de Joséphine Karlsson, mais qui se révèlera par la suite être un élément clef de l’enquête principale.)


On retrouve également les intentions de la saison 2 à vouloir explorer des situations sociales via les enquêtes. Là encore l’inspiration de « The Wire » a été fort judicieusement mobilisée. Même si le personnage de « Oz » (appréciez encore une fois le clin d’œil « subtil » fait à HBO) est pratiquement un copier-coller du personnage de Snoop, elle n’en reste pas moins l’une des antagonistes les plus marquantes, ambiguës et efficaces de la série.
D’ailleurs, dans le traitement de ce personnage de « Oz » et de toute l’intrigue sociale qu’elle recouvre, on retrouve également dans cette saison 5 cette tentative d’apporter un regard critique sur les politiques mises en place dans les quartiers les plus touchés par la criminalité. Et si la série s’était totalement pris les pieds dans le tapis lors de la saison précédente, ici, la démarche est plus efficace car mieux intégrée, mieux dosée et surtout moins caricaturale.


Cette saison 5 est pour moi un tournant puisqu’à partir de là, les saisons 6 et 7 parviendront à globalement s’aligner sur ce nouveau standard.
Suspense soutenu, intrication des affaires avec des magouilles politiques, lecture sociale souvent en écho avec l’actualité récente : chaque saison à partir de là parvient à se poser comme un portrait assez fidèle et plutôt pertinent de son temps.
Le ton y est plus direct et plus cru, quitte à ne pas être dans le politiquement correct.
Malgré tout l’équipe de scénaristes, depuis dirigée par Anne Landois ne franchit jamais vraiment la ligne jaune, sachant jouer d’un équilibre suffisamment bien senti pour qu’on n’ait pas l’impression d’être prisonnier d’un prisme politiquement orienté.
Sur ce point, le regard qui est porté sur l’équipe du commandant Berthaud à la DPJ en est en soi une belle illustration. Chacun veut faire son taf dans l’intérêt de tous, c’est vrai, mais c’est souvent en trichant un peu avec la loi, en dérapant carrément dans la bavure parfois, voire même à certains moments en tombant carrément dans l’acte crapuleux de flics ripoux. La série n’excuse jamais, pas plus qu’elle ne condamne. Elle pose juste des situations, montrant qu’il est parfois bien compliqué dans ce métier-là de garder en permanence sa lucidité et son sang-froid.


Car « Engrenages » a aussi cette pertinence de chercher à développer ça : rappeler que tous ses personnages avant d’être des fonctions sont avant tout des humains.
Alors certes, cet aspect-là n’est pas traité aussi subtilement que dans « Le bureau des légendes » puisque certains éléments d’intrigue font clairement plus artificiels que d’autres…


(je pense notamment à l’introduction aux forceps du fils de Tintin – Ruben – dans la saison 6 qui ne parvient jamais à prendre l’épaisseur nécessaire pour qu’on la perçoive autrement que comme une nécessité scénaristique)


…mais ça permet néanmoins d’expliquer des loupés et des dérapages de la part des protagonistes qui non seulement enrichissent les péripéties proposées mais qui en plus permettent d’humaniser ce groupe prêt à tout pour s’entraider, quitte à devoir passer l’éponge derrière celui qui a fauté.


D’ailleurs, plus le temps passe et plus la série parvient à donner une dimension spatiale à ce caractère humain. Ça se manifeste quelques-fois par cette volonté de construire, de varier et de parcourir des espaces de vie. La saison 6 marque une première marche dans cette logique-là, avec quelques jolis (mais bien trop rares) plans à la louma ainsi que deux scènes d’action plutôt bien ficelées…


(la course-poursuite dans la Gare du Nord est pas mal. L’interpellation dans le camp de Roms est pas contre vraiment réussie).


Mais c’est surtout le début de la saison 7 qui donne son élan à cette démarche formelle (avec notamment un plan séquence en intro de l’épisode 1 vraiment sympa et surtout un plan sur les dalles du XIIIe particulièrement signifiant) ; une démarche qui questionne soudainement les lieux et qui offre un visage des singularités urbaines de Paris et de sa petite couronne aussi saisissant qu’intrigant ; allant même jusqu’à poser progressivement la ville comme un personnage à part-entière de la série ; comme une nouvelle pièce de déterminisme venant s’emboiter dans tous les autres rouages de l’intrigue.
Comme quoi, même après sept saisons, « Engrenages » était encore en train d’apprendre et disposait encore d’une marge de progression.


Seulement voilà, même dans ses meilleurs moments, « Engrenages » n’est jamais vraiment parvenu à se débarrasser de tous ses démons.
C’est une série qui aime souvent flirter avec un certain racolage malsain, soit en exposant des grosses scènes de crime bien crades, soit en se complaisant dans des détails sexuels salasses.
De même, c’est une série qui joue parfois trop de la carte d’un pathos exacerbé. Les grandes scènes de chialades quand on bute un personnage-clef pour l’exclure du casting, ou bien encore les grandes scènes de cruauté de la part des méchants vraiment trop méchants, ce n’est clairement pas ma tasse de thé.
Dans tous ces domaines d’ailleurs, le personnage de Joséphine Karlsson (incarné par Audrey Fleurot) est souvent malmené et régulièrement mal intégré à l’intrigue principale, devenant de plus en plus – au fil des saisons – qu’un simple prétexte malsain à subir des exactions et à exprimer toute sa souffrance dans des scènes abusivement démonstratives.
…Une bien triste manière d’utiliser une Audrey Fleurot capable de bien mieux (comme elle a su par ailleurs le démontrer lors des quelques moments plus subtils qui la série lui a offert parfois.)


Et alors qu’on était en droit d’espérer que la saison 7 sache encore faire passer un cap à cette série – ce que son début laissait d’ailleurs clairement augurer – finalement c’est à partir de cette saison-là que la spirale va commencer à s’inverser et où l’essoufflement va se ressentir en de nombreux secteurs.
Et comme un symbole, c’est dans l’écriture que les fissures vont commencer à se faire les plus craintes.
Tout un symbole en effet car la saison 7 marque un nouveau changement d’équipe en termes de scénaristes. Cette fois-ci c’est Marine Francou qui prend les commandes et franchement c’est clairement son arrivée qui sonne le glas pour cette saga.


Alors certes, je ne vais pas non plus totalement cracher dans la soupe puisque – comme je viens de le dire – je trouvais que le début de la saison 7 augurait du meilleur, preuve que l’équipe Francou avait su comprendre et réutiliser les codes qui faisaient la force de cette série.
Mais très rapidement, d’épisode en épisode, on voit ressurgir dans cette pénultième saison pas mal de vieux fantômes qu’on pensait pourtant exorcisés.


Je pense notamment à tout ce qui est lié au chantage fait sur Solignac, le porteur de valise de David Cann. Il réagit toujours comme il faut au moment où il faut pour faire en sorte que l’intrigue se débloque. Certes le scénario le justifie, mais j’ai trouvé ça un peu gros, surtout que je ne trouvais pas ce genre de réaction bien logique.


Même chose d’ailleurs quand Roban se fait prendre au piège par Machard. Pourquoi reste-t-il à ce diner alors qu’il sait que ça va l’incriminer ? Même si encore une fois le scénario explique la précipitation de Roban, je trouve que ça ne colle pas avec le personnage.
Et enfin – dernier exemple qui me vient à l’esprit – cette manière dont Berthaud et Gilou parviennent à utiliser Soizic pour récupérer des infos sur le portable du patron de la brigade financière. Toute cette scène put le faux-suspense. On sait déjà ce qui va se passer et pourquoi ça va se passer. Ça fait vraiment scène bricolée.


De toute manière – et à bien tout prendre – si les rouages d’ « Engrenages » fonctionnent de moins en moins bien une fois arrivés à leur septième saison, c’est aussi parce qu’ils ont fini par s’user.
A force de voir toujours les mêmes mécaniques mobilisées en termes de suspense, en termes de dilemme, ou bien en termes d’éléments perturbateurs impromptus, on n’est plus surpris.
Voir une énième filoche qui foire à cause d’une voiture qui se gare à l’arrache ou d’un chauffard qui s’intercale ; voir une énième mini-course contre-la-montre se résoudre à la seconde près ; voir une énième fois la mauvaise personne débarquer pile au mauvais moment au mauvais endroit, tout ça accumulé fait qu’à force ça ne prend plus…
On voit l’artifice. On voit l’usure.
L’intrigue devient trop mécaniste pour que les péripéties rencontrées par le 2ème DPJ conservent toute leur saveur…


Au fond, l’annonce faite comme quoi la saison 8 allait être la dernière de toute la série a raisonné comme une évidence. Presque comme un soulagement…
On pouvait espérer que les équipes de Marine Francou sachent réfléchir à une belle sortie ; à une habile manière de clôturer celle qui fut pendant quinze ans la pionnière et le phare de toute la filière « créations originales » de Canal+.
Mais malheureusement ce ne fut pas le cas.
Ce fut même tout l’inverse.


Au lieu de se penser comme une sortie, cette saison 8 est clairement une triste fuite en avant.
Alors qu’on est dans une saison de clôture, on se risque malgré tout à installer de nouveaux lieux (comme le nouveau Tribunal de Paris inauguré en 2018), à installer de nouveaux personnages (comme la juge Bourdieu, en remplacement de François Roban), voire même une nouvelle identité visuelle avec des changements radicaux apportés à la mise-en-scène (les tons gris-bleus des sept saisons précédentes sont notamment abandonnés pour une photographie qui tire vers un orange-bleu-vert dégueulasse).
Et voilà qu’avec tout ça on relance la machine comme si de rien n’était !


De toute façon, on ne me la fera pas : cela apparait comme assez évident que cette saison n’a pas du tout été pensée pour être la conclusion d’« Engrenages ».
On était clairement parti pour tirer sur la corde encore pour une petite flopée de saisons et puis on a décidé en bout de course qu’en fin de compte il fallait peut-être mieux s’arrêter là…
On avait déjà Grégory Fitoussi, Philippe Duclos, Fred Bianconi et Nicolas Briançon qui avaient quitté le navire lors des saisons précédentes, gavés qu’ils devaient être par le projet. Sûrement Caroline Proust, Thierry Godard et Audrey Fleurot commençaient à en être au même point à force de faire sans cesse les mêmes choses depuis quinze ans.
Canal+ lui-même de son côté avait peut-être aussi envie de dégraisser sa branche séries en arrêtant tous ses gros projets en même temps.
Et puis, tout simplement, peut-être que tout ce petit monde a aussi fini par se rendre compte que cette huitième saison… eh bah elle était un peu merdique en fait.


Car – tel un étrange coup du sort – il a fallu qu’ « Engrenages » finisse dans la fange d’où la série s’était lancée quinze ans plutôt.
Retour à une forme des plus dégueulasses, singeant en moins bien et sans les comprendre les codes des séries américaines. Ici c’est par exemple « Mister Robot » dont on essaye de s’inspirer mais sans avoir compris la signification de ses cadres décentrés.
(Par contre, pour cette photographie dégueulasse, ces travellings intempestifs et ces montages foireux de déplacements en ville, il faudra qu’on m’explique d’où ça vient, parce que c’est juste superfétatoire et accessoirement hideux.)

Retour aussi aux caricatures et aux racolages des premiers temps.
(La foire aux monstres à laquelle se livre cette série dans la prison : mais au secours ! Et je suis gentil je ne vais pas parler de l’univers de Soleymane qu’on croirait filmé par Carole Rousseau en personne.)
Mais surtout – ce qui m’a le plus choqué – c’est ce recyclage jusqu’à l’écœurement de toutes les facilités scénaristiques dont la série a déjà usées par le passé – non sans honte – dans l’espoir d’humaniser ses situations et ses personnages.


(Ainsi, Ali va s’identifier à ces gamins dans la rue au point de frôler la syncope, avant de tout oublier au bout de trois épisodes. Beckriche et la nouvelle juge vont tomber amoureux. Joséphine et Lola vont d’ailleurs aussi tomber amoureuses ! Et puis – toujours pour gâter Audrey Fleurot – Joséphine va aussi décider de se prendre d’affection pour un gamin des rues – sans qu’on sache d’ailleurs vraiment pourquoi – tout ça pour qu’elle puisse s’exposer à nouveau bêtement dans des situations lugubres ou dans de nouvelles longues séances de chialades.)


Cette saison 8 c’est vraiment un long râle d’agonie.
D’abord cinq épisodes au rythme soporifique qui enchainent les clichés et les redondances, puis cinq autres épisodes un peu plus enlevés (et intéressants j’en conviens) mais qui entretiennent parfois le suspense avec des incohérences insupportables.


(Pourquoi Gilou menace-t-il son contrôle judiciaire en tabassant un gars dans un bar ? Pourquoi, lors du casse, ne se barre-t-il pas dès les premiers coups de feu tirés alors qu’il en a dix fois l’occasion ? Pourquoi ne se barre-t-il toujours pas une fois qu’il est chez Cisco ? Pourquoi construire à la toute fin cette situation invraisemblable pour que Beckriche tue Cisco alors qu’il aurait été tellement plus intéressant de faire en sorte que Laure décide à elle toute seule de buter Cisco et d’ensuite mettre en scène sa mort ?)


Et tel un triste signe comme quoi cette série devait mourir de ses propres maux plutôt que de se finir sur un instant de gloire, sa conclusion est réduite en une seule scène – clairement rajoutée au dernier moment – et se fermant sur un banal fondu au flou, comme un dernier message envoyé aux spectateurs comme quoi, depuis le départ, la forme, on s’en fout pas mal dans cette série…


Du coup, à bien tout prendre, difficile d’émettre un avis général et une note globale sur ce que fut cet « Engrenages » dans son ensemble.
Des débuts assez mauvais. Une progression réelle mais vraiment longue à se mettre en place. Des qualités évidentes mais des défauts qui persistent et qui agacent. Et tout ça se concluant de la plus triste des manières, presque comme une démonstration par l’absurde comme quoi cette série n’a jamais vraiment été réfléchie et considérée, jusqu’à ses propres auteurs eux-mêmes…
Tout cela, à bien faire la moyenne, devrait nous faire naviguer entre les 5/10 ou les 6/10…
La logique voudrait que je penche davantage pour une note moyenne, c’est-à-dire 5/10.
Mais attribuer une telle note, ce serait aussi occulter un mérite réel qu’on ne peut décemment par retirer à cette série.
…Et ce mérite c’est d’avoir su être, pendant quinze ans, un véritable atelier pour toutes les séries « Créations originales » de Canal+.


Recrutement d’acteurs.
Expérimentation de structures narratives.
Constitutions d’un groupe d’experts dans les institutions françaises.
Façonnement d’une notoriété permettant aux séries Canal+ de s’ouvrir sans cesse de plus en plus de portes…
Tout ça c’est quand-même sur « Engrenages » que ça s’est joué. Et tout ça, c’est clairement d’autres séries Canal qui ont pu par la suite en bénéficier. Des séries que j’adore par ailleurs comme « Le Bureau des Légendes ». Voire des séries que j’adule comme « Baron noir ».


Alors rien pour ça, je pense qu’il faut rendre à César ce qui est César.
Or à la base de toute la machinerie Canal+ il y a donc ces « Engrenages ».
Et quand bien même ont-ils cessé aujourd’hui de tourner, qui peut dire jusqu’où va porter la mécanique qu’ils ont su lancer…

lhomme-grenouille
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le 15 mai 2020

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